...
Personne n'est immunisé contre une exposition traumatique.
Eux non plus.
Il est tard dans la nuit quand il nous appelle.
"J'ai besoin de votre aide"
Dans un noir profond d'un chemin côtier, je les retrouve,
Ils marchent depuis une heure déjà.
La maman gros ventre en tête, entourée des "garçons"
Ils sont loin de Boulogne.
Délogés par la police en pleine nuit avant de pouvoir rejoindre la plage où une embarcation les attendait.
Délogés de l'espoir qu'ils mettaient dans ce deuxième essai.
Fatigués éreintés, déçus tellement.
Au moment de les emmener (avec les mots qu'on pense bon de dire alors) pour les mettre à l'abri en Hébergement citoyen solidaire d'Urgence, le visages apeurés des enfants supplient : "Papa".
Les voilà transbahutés, une vie transbahutée, et la confiance du père qui confie sa terre, le roc, sa vie.
Ensuite, ce sont leurs yeux qui pétillent, le lieu c'est beau ici.
Une manière de se serrer coller pour dormir tous les cinq.
Et cette petite lampe qu'on laisse allumée, vigie
"Entre seisme et lumière
s'embrassent
les combattants"
La Syrie est loin.
L'Angleterre semble l'être tout autant.
Au matin, ce sont les garçons qui se réveillent en premier.
Pas d'appétit dans l'assiette mais tout semble dans la maison
les appeler
On ouvre les cartons, on s'échine sur le ruban scotch qui résiste.
C'est donc un esprit d'insouciance ?
Ou bien une nécessaire réparation.
Choc/réconfort/Choc/réconfort.
Une spirale d'ADN
Je me demande comment dans ce fatras hélicoïdale,
ce chaOs rocheux de violence,
ils maintiennent vaillant leur sentiment de sécurité
de continuité.
Il y a, c'est vrai, le connu :
les Peluches, les dessins avec des coeurs,
plus tard dans la matinée des dessins animés,
Un jeu de Uno, d'autres jeux encore.
Il y a c'est vrai ce qui brille
Oui, les paillettes, les illuminations, ce qui fait rêver
Ce qui fait disparaître le laid,
Du compost sous les paillettes.
Je pense souvent en ce moment à ces artifices
Ces feux d'artifices, ce qu'on bâtit comme un
paradis, pour oublier le pire.
Je pense aussi souvent en ce moment à ce film
La vie est Belle de Benigni
Cet homme qui fait croire, pour protéger son enfant,
que ce camps n'est qu'un jeu d'épreuves.
Moi aussi à ce jeu là,
Je tente l'amusement avec l'appareil photo
Manière bien sûr de me protéger aussi
De ne voir montrer vivre que le beau.
Parce que si la douleur est pudique
Je ne veux pas que les joies d'enfant
le soient.
...
(...)
"Nous nous plaindrons de nos fatigues une autre fois
nous pleurerons de nos larmes
plus tard
ou que d'autres le fassent
En attendant
la clarté nous demande"
Ce sont bien eux les super_héros
Les super sur-vivants.
(...)
(...)
"pourtant jamais rompu
le privilège du feu
ce remuement des flammes dans nos têtes
qui nous lance sur les routes
au versant neuf des morts vieillies
fleur d'absolu entre les dents"*
* Jean Pierre Siméon.