Rédigé à 20h51 | Lien permanent
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Douze personnes sont mortes. Parmi elles, dix femmes.
Mortes noyées. Une embarcation qui se disloquent.
Des personnes sur la route de l'exil, vers l'Angleterre.
Dix femmes mortes, et maintenant
des maris-veufs, des enfants-orphelins, des parents-défaits et des frères et soeurs, des amis inconsolables.
Dix femmes, leurs visages, leurs mains, leurs espoirs d'une autre vie : ce qui n'est plus.
Elles ont fui l'Érythrée. Elles sont mortes dans la Manche.
Hier, j'ai croisé le frère d'une de ces femmes.
Hier, j'ai croisé la détresse.
Hier, des habitants de Boulogne sur mer
avec des craies de couleurs ont dessiné des coeurs
et sur les quais, ont allumé des feux pour faire mémoire.
Ce qui est petit est, pour de vrai
immense.
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D'autres photos ici :
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" Ce monde est sale de bêtise, d'injustice et de violence ; à mon avis, le poète ne doit pas répondre par une salve de rêves ou un enchantement de langue.
Il n'y a pas à oublier, fuir ou se divertir. Il faut être avec ceux qui se taisent ou qui sont réduits au silence.
J'écris donc à partir de ce qui reste vivant dans la défaite et le futur comme fermé.
S'il n'est pas facile d'écrire sans illusion, il serait encore moins simple de cesser et supporter en silence. "
Antoine Emaz
Rédigé à 06h34 | Lien permanent
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Son option, le sourire.
Et quand il arrive sur le campement de Wimereux, il offre sans le savoir aux autres, pris dans la fragilité, la peur de ne plus y arriver, ce qu'il faut d'élan, un souffle, une tempête flamboyante, avec ses joues, ses rires comme des lumières.
Il me partage les vidéos qu'il a réalisé la veille, et me dit : "dans ce livre de la jungle, j'ai décidé, je suis Mowgli"
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Rédigé à 22h46 | Lien permanent
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Combattre.
Et dans ce combat, des blessures.
C'est que les forces de l'ordre au matin après le naufrage les ont empêchés de prendre le train.
Alors ils ont marché, longtemps, rejoindre Calais, le long des chemins.
Epuisé comme un soleil et la douleur
Chienne de vie.
Combattre en silence
Le corps appesanti
Puis revenir pour préparer la nouvelle traversée.
La nouvelle tentative, la énième.
L'errance qui épuise.
Rédigé à 22h40 | Lien permanent
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"Vivre ici est-ce vivre ?" me demande Mohammed, ce matin là lorsque je viens me poser avec lui et avec les autres, me poser un peu.
Puisque personne ne leur propose rien d'autre, rien tout court, des personnes exilées créent des lieux, forcés contraints. Ces dernières semaines, de nouveaux campements se sont installés dans un bout de sous bois en bordure de patûre. ça se passe ici, à Wimereux.
Pas d'autres endroits où aller. Pas d'autres solutions.
Le répéter, Wimereux, station authentique de la côte d'Opale.
Et quand J. habitant du village arrive sur le campement, son atterrement fait mouche : "Et on dit de la France que c'est la patrie des droits de l'Homme ?" Plus tard, après un échange avec Mohammed, sa colère est teintée de tristesse : "Il m'a raconté son histoire, et je vois bien que c'est tellement violent, qu'il a été rejeté de partout, ça me tire des larmes"
J. est arrivé avec quelques baguettes de pain.
E. le rejoint en vélo, de l'eau, un peu de café, de la confiture.
Un collectif d'habitants qui va vers eux, qui vient les rejoindre, avec bien peu de moyens, qui propose un peu, à défaut de rien.
Agissant comme ils peuvent.
Quelques gestes pour rendre la vie moins rude.
...
Rédigé à 22h04 | Lien permanent
(...)
Sur le littoral d’Opale des Hauts de France, ici aussi on chasse l’humain à tout va.
Logique de propriété contre logique d’humanité, des personnes exilées sont chassées-traquées par les forces de l’ordre mandatées par les mairies.
Ces dernières semaines, dans un village côtier, cité balnéaire, proche de Boulogne sur mer - Wimereux - des campements se sont crées.
Bon gré mal gré, installer un semblant d’abri, un bout de forêt, une clairière avant la traversée -danger vers l’Angleterre.
Mais la mairie, la mairie, soutenue par son préfet, a ordonné ce matin l’expulsion pour les personnes vivant dans ces lieux de non vie.
(...)
(...)
âche, tente, couverture à même le sol, tout est confisqué.
Et les personnes sont sommés de quitter les lieux.
Pas de proposition de mise à l’abri.
« Manu militari » faut il rajouter. Dans le calme, dans la soumission surtout.
Des personnes venues d’Iran, du Koweit, de Syrie, des femmes, des enfants vivaient avec presque rien, un peu de subsistance, soutenu par quelques citoyens habitants réunis en collectif, qui pour amener de l’eau, qui pour charger les portables.
Comme à Loon-Plage, comme à Calais, la politique à l’oeuvre ici aussi détruit, abime, nie, violantant corps et individus.
Car il s’agit bien ici aussi de rendre la vie pour ces personnes invivables.
(...)
(...)
Ce matin, je passe après le déluge d’inhumanité.
Mais je ne reste pas les bras ballants.
Car si tout change, se fait, se défait, si pour l’Etat, il y a des vies qui comptent et d’autres qui ne comptent pas,
nous activistes, citoyens, bénévoles, continuerons de soutenir, aider, accompagner et porter secours à Hissa, Abdula, Mariam, Mohammed
et tous les autres pris en otage dans cette zone frontière du Nord de la France.
(...)
Rédigé à 18h06 | Lien permanent
...
Je ne sais pas où j'ai laissé mon coeur
Dans quelle démente décharge visuelle
Pour mieux voir les astres
Je me perds souvent.
Je ne sais pas ce que pense de toutes ces maisons hantées
De ces espaces d'oubli
De ce qui nous éloigne, magnifique, des voyages sans billet
Je ne sais rien de ce qui m'accable pour de vrai alors je fais semblant
je ris, je danse, je parle fort
et j'use mon coeur comme un crayon de bois.
Rédigé à 22h19 | Lien permanent
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"Il fait nuit, il fait grand nuit sur le monde et la frêle protestation du poème n'y peut pas grand-chose.
Mais nous continuerons. il y a des maternités dans les pays en guerre : il y a donc eu de l'amour quelque part.
Chaque poème est une naissance. C'est une naissance inutile mais l'utile toujours couche les hommes dans la boue"
Jean Pierre Siméon.
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à Calais, chacun fait ce qu'il peut.
des hommes, des femmes, des enfants en exil cherchent des abris
un bout de toile tendu entre deux piquets, une tente, un hangar
depuis le printemps, il y avait ce lieu, où s'entassait une centaine de tentes
un hangar, un grand garage pour ceux qui doivent se contenter, forcer contraint de si peu
les uns contre les autres, au milieu des gravats
faire vie, faire front, manger, dormir, se raser, se raconter, se disputer, se battre.
Et puis le feu, le feu qui prend, qui s'étend,
Chacun le savait que ça ne pouvait que finir
dans le feu, dans la cendre.
C'est dans la nuit de mardi à mercredi, que l'embrasement habille d'ombre les solives de fer.
Et ce n'est même pas une déflagration, juste un événement, un fait.
Jeudi, des hommes sont venus.
Ils ont, à grands coups de balaie, de container, tenter de nettoyer un lieu
qui gardera trace, je le sais, de ces vies humiliées.
Rédigé à 06h19 | Lien permanent
(...)
Après les pluies diluviennes de la nuit, la matinée voit apparaître une éclaircie, au point de distribution de Salam à Calais.
Une centaine de personnes en exil viennent chercher réconfort, café thé, une tartine, oh des fruits.
Ils se posent au sol, sur quelques bancs. La fatigue brutale immobilise.
On échange quelques mots, on se prend dans les bras.
On offre ce qu'on peut à ceux qui ont tout quitté.
Dans cette ville monde, la solidarité : le collagène pour les coeurs douloureux.
...
Ce qui me frappe beaucoup c'est la force vitale qui irradie ces moments.
Le Secours Catholique, Chanel Info Project s'installent un peu plus loin.
Des partages d'énergie.
Les campements des personnes en exil, l'été ici à Calais.
j'ai besoin de ces perceptions, de ces moments de présence, de l'humilité aussi de ceux qui pourtant donnent tant.
...
(...)
Mais déjà il faut partir, rejoindre la tente, préparer la nuit suivante, la zone de déchargement, le camion, la bâche, les copains d'exil qui t'ont indiqué les points de passage, mais déjà il faut partir, lâcher le poids, convoquer la force pour croire qu'un jour, pour croire encore à cette vie meilleure.
Rédigé à 15h41 | Lien permanent
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Depuis quelques années, je témoigne de l'action de l'association Salam.
A Calais, Yolaine porte à bout de bras une équipe d'une trentaine de bénévoles.
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Ce matin, c'est jeudi et l'orage pendant la nuit a mis à mal ceux qui vivent dehors.
Les pulls sont mouillés et les mines défaites. Les enfants ont froid, tout le monde est transi.
La ville sort de sa gangue.
Ce matin, c'est jeudi et je rencontre une autre équipe de Salam, des présences aguerries, volontaires, soudées.
Ce matin, il faut réagir fort car les corps sont spongieux, les pieds endoloris, les mines défaites.
Il y a de l'épuisement. Les tentatives de passages pour l'Angleterre minent en profondeur et les corps et le moral
On croise ici un jeune garçon turc aveugle qui grelotte. Ici ce sont deux hommes, un jeune afghan informaticien dans son pays et son ami syrien, père de famille. Ils ont marché pendant une heure trente pour venir dans cette zone industrielle à l'autre bout de la ville, récupérer un peu de pain, quelques fruits. Dans leur campement du côté de Coquelle, des femmes, des bébés, des enfants. Je les raccompagne et appelle le Women Center.
Ce matin c'est jeudi et l'insaisissable, ce sont ces regards que je découvre pour la première fois, implorant.
Rédigé à 11h49 | Lien permanent
Rédigé à 09h30 | Lien permanent
Rédigé à 18h42 | Lien permanent
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A Calais, à Grande Synthe, les forces de l'ordre procèdent toutes les 48 heures,
à la destruction des lieux de vie des personnes exilées.
Confiscation des tentes, saisies des affaires.
Sous prétexte de délit d'occupation illicite, l'Etat agit.
Impunément parce qu'il est dans son droit, l'Etat.
Après une nuit de pluie d'orage, où chacun trempés a survécu
Après des jours de canicule où trouver un abri est impossible.
Ce matin, au camps BMX de Calais, ils ont procédé
froidement.
Ratisser, traquer, défaire, enlever
ce qui peut l'être.
La tactique de la tension.
Et face à ça, nous consternés.
Par cette froideur bureaucratique, par cet acharcharnement.
Oui il ne nous reste rien d'autre à faire que ça : subir, constater, témoigner de ces agissements.
Human Right Observer est là.
Eux aussi, constate, notifie, veille.
Et nous face à cette organisation du maintien de l'ordre établi
Restons sidéré, une fois de plus.
Depuis trois ans, je tente de documenter ce qui se passe dans cette zone frontière
Ce matin, je relis nouveau le texte de Grégoire Chamayou, Les chasses à l'homme
"La chasse à l'homme est une technique de gouvernement par l'inquiétude - faire des êtres aux aguets, sur fond de vie déplorable et d'existence traquée. Ces effets relèvent d'une stratégie consciente et théorisée d'insécurisation"
Ce matin, dans cette ville monde, j'ai vu notre monde.
Rédigé à 18h15 | Lien permanent
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Mourir ou ne pas mourir // Partir dans un bateau surchargé // Ou rester sur le sable défait.
Mourir ou ne pas mourir // Dans les geôles d'Erdogan.
Ce matin au large d'Ambleteuse, on leur avait dit pourtant // Petit bateau et sécurité
Et pourtant, le mensonge est loi // souvent tellement.
Ils sont kurdes, considérés comme indésirables // Menacés par l'autorité turque
Vus comme des terroristes // Il aurait fallu se taire
S'interdire de dire trop fort // Parfois pourtant...
Et voilà votre vie chaque jour menacée //Alors puisque on ne veut de vous nulle part
L'Angleterre peut-être ?
Ce matin au large d'Ambleteuse, le ciel est large mais l'épuisement tel. //Les corps mouillés, éreintés, les dos rompus.
...
Utopia 56 et Osmose 62 oeuvrent de concert pour offrir dans le jour qui se lève
soutien, vêtements et la chaleur d'un thé.
...
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Tant qu'il y aura des gens pour tendre la main
Porter secours
Tant qu'il aura
ça revient la vie, ça revient.
...
Rédigé à 17h15 | Lien permanent
(...)
Partout dans le monde, des morts aux frontières surviennent presque quotidiennement.
Ici en France, sur la côté dite d’Opale, ne reste de l’Opale brillant que son noir le plus obscur.
Ici dans cette zone frontière entre la France et l’Angleterre, pour ces personnes exilées, la vie s’est arrêtée brutalement.
Ils viennent d’ailleurs mais ça n’ira pas plus loin : un rêve brisé et des familles restées au pays qui seront broyées par le chagrin.
Et les corps vacanciers peuvent bien occulter ce qui se passe ici. D’autres corps ont flotté en surface sur ces eaux glacées.
Les politiques d’Etat, la cordiale entente entre deux pays, génèrent une traque humaine, responsable des morts à la frontière.
(...)
(...)
"Vos politiques, vos frontières, NOS MORTS".
Car il s’agit bien de LEURS morts, ceux que des citoyens ont décidé de porter dans LEUR coeur. Recueillement, parole, colère et tristesse.
Car inscrire socialement ces morts dans leur territoire, c’est permettre à ces vies d’exister.
C’est adopter des corps orphelins. Car les familles sont loins.
Dire à la ville, que l’on pleure ces morts, c’est offrir à ces personnes un respect sans faille : le lien noué ne s’effacera pas.
Car partout où on fabrique du rituel, on fabrique de l’humanité.
(...)
(...)
Et ce deuil collectif est aussi habité par le sentiment d’injustice.
Le rouge de la colère.
Le vendredi 12 juillet, quatre migrants sont décédés dans un naufrage au large de Boulogne-sur-Mer.
Avec ces six nouveaux décès en une semaine, on compte déjà 22 morts dans la Manche depuis le début de l'année 2024.
Ce vendredi 19 juillet, une centaine de citoyens à l’initiative de l’association Osmose62 se sont réunis pour rendre hommage à ces personnes décédées.
(...)
...
Cette nuit, quatre jeunes enfants syriens vont tenter pour la cinquième fois, accompagnés de leurs parents, de grimper sur une embarcation pour traverser la Manche.
Cette nuit, il y aura aussi des jeunes adolescents, des bébés, des gens plus âgés.
Il est 19H00, chacun a dû commencer à se déplacer, puis se cacher, se terrer dans les bordures de mer.
Avant la traversée et avec les activistes de la Méditerranée, je leur adresse cette prière comme un appel
"Notre mer, écoute, je t'en prie
Sois patiente ce soir
Il y a un bateau au milieu des vagues
C'est un bateau qui apporte de l'espoir
Il n'a ni voile ni moteur
Il n'y a pas de port ni de phare
Mais il y a en a beaucoup là haut que tu peux voir
Ce bateau est leur refuge
Notre mer, regarde les bien
Sous leurs pieds, ils portent le monde
Et dans leurs yeux, beaucoup de cendre
Combien de larmes ils ont pu enterrer
Ils sont l'histoire du blé
Le feu qui devient coucher du soleil
Le pain rompu et divisé
A la fin de la journée
Mare, je te prie ce soir
Ne les noie pas
mare Nostro
Mare
Mare Nostro, tu sais qui les guide
C'est le Dieu qui n'a pas de frontières
Qui marche sur l'eau et le feu
Et brise toutes les chaînes
(...)
Mare, je te prie ce soir
Laisse les passer
Mare Nostro
Mare
Mare Nostro, ramène les sur le rivage
Avant que la dernière étoile ne meure
Avant le changement de garde
Que les gardes ne les voient pas
Que le rivage ne soit pas une prison
Ni menottes ni billet
Mais une route baignée de soleil
Jamais plus une mauvaise voie
Ils sont l'histoire du dragon
Le feu qui devient coucher du soleil
Mare, je t'en prie, ce soir
Laisse les arriver.
Mare Nostro
Mare"
Groupe GANG
Rédigé à 18h25 | Lien permanent
...
Personne n'est immunisé contre une exposition traumatique.
Eux non plus.
Il est tard dans la nuit quand il nous appelle.
"J'ai besoin de votre aide"
Dans un noir profond d'un chemin côtier, je les retrouve,
Ils marchent depuis une heure déjà.
La maman gros ventre en tête, entourée des "garçons"
Ils sont loin de Boulogne.
Délogés par la police en pleine nuit avant de pouvoir rejoindre la plage où une embarcation les attendait.
Délogés de l'espoir qu'ils mettaient dans ce deuxième essai.
Fatigués éreintés, déçus tellement.
Au moment de les emmener (avec les mots qu'on pense bon de dire alors) pour les mettre à l'abri en Hébergement citoyen solidaire d'Urgence, le visages apeurés des enfants supplient : "Papa".
Les voilà transbahutés, une vie transbahutée, et la confiance du père qui confie sa terre, le roc, sa vie.
Ensuite, ce sont leurs yeux qui pétillent, le lieu c'est beau ici.
Une manière de se serrer coller pour dormir tous les cinq.
Et cette petite lampe qu'on laisse allumée, vigie
"Entre seisme et lumière
s'embrassent
les combattants"
La Syrie est loin.
L'Angleterre semble l'être tout autant.
Au matin, ce sont les garçons qui se réveillent en premier.
Pas d'appétit dans l'assiette mais tout semble dans la maison
les appeler
On ouvre les cartons, on s'échine sur le ruban scotch qui résiste.
C'est donc un esprit d'insouciance ?
Ou bien une nécessaire réparation.
Choc/réconfort/Choc/réconfort.
Une spirale d'ADN
Je me demande comment dans ce fatras hélicoïdale,
ce chaOs rocheux de violence,
ils maintiennent vaillant leur sentiment de sécurité
de continuité.
Il y a, c'est vrai, le connu :
les Peluches, les dessins avec des coeurs,
plus tard dans la matinée des dessins animés,
Un jeu de Uno, d'autres jeux encore.
Il y a c'est vrai ce qui brille
Oui, les paillettes, les illuminations, ce qui fait rêver
Ce qui fait disparaître le laid,
Du compost sous les paillettes.
Je pense souvent en ce moment à ces artifices
Ces feux d'artifices, ce qu'on bâtit comme un
paradis, pour oublier le pire.
Je pense aussi souvent en ce moment à ce film
La vie est Belle de Benigni
Cet homme qui fait croire, pour protéger son enfant,
que ce camps n'est qu'un jeu d'épreuves.
Moi aussi à ce jeu là,
Je tente l'amusement avec l'appareil photo
Manière bien sûr de me protéger aussi
De ne voir montrer vivre que le beau.
Parce que si la douleur est pudique
Je ne veux pas que les joies d'enfant
le soient.
...
(...)
"Nous nous plaindrons de nos fatigues une autre fois
nous pleurerons de nos larmes
plus tard
ou que d'autres le fassent
En attendant
la clarté nous demande"
Ce sont bien eux les super_héros
Les super sur-vivants.
(...)
(...)
"pourtant jamais rompu
le privilège du feu
ce remuement des flammes dans nos têtes
qui nous lance sur les routes
au versant neuf des morts vieillies
fleur d'absolu entre les dents"*
* Jean Pierre Siméon.
Rédigé à 17h20 | Lien permanent
Après les tentatives de traversées, après les naufrages,
après les moments où certains citoyens volontaires de l'Association Osmose62 ont porté secours,
il s'agit de laisser les personnes exilées à leur destin.
Les emmener à la gare, leur trouver à Calais des solutions d'hébergement, mais savoir qu'ils tenteront à nouveau la traversée.
Savoir le danger que ça représente. Une mer, une embarcation, des gilets de sauvetage souvent absents.
Alors à la peine s'ajoute la peur.
Alors chacun garde le sourire et celui des enfants car il s'agit de gravir l'instant sans s'écrouler de chagrin.
Rédigé à 17h03 | Lien permanent
(4.fin)
Empêchés par les forces de l’ordre, ils n’ont pas réussi à rejoindre cette « plage de l’embarquement ».
Elle et ses quatre enfants.
Après la nuit dans les dunes, le silence, la nuit comme un voile noir, les craquements, le chemin à trouver et cet enfant à naître dans le ventre, une pression telle, juste une main pour soutenir, le coeur vibre, le sang court, ne pas penser de trop, surtout.
Après cette nouvelle tentative, le repli sur la falaise, se poser au sol, des activistes arrivées sur place sont au petit soin.
Du café, des gâteaux et des bras pour réconfort, des peluches qui donnent sourire, et la voiture dans laquelle on grimpe, allez on fait semblant d’avoir des ailes, on file en Angleterre.
Quelques heures plus tard, pourtant la douleur du ventre est déchirante.
De la gare, il faut joindre les pompiers, quelques heures à l’hôpital pour être rassurée.
Puis trouver un abri dans une famille hébergeante, la nécessité fait solidarité.
Parce que toujours sur la route de l’exil, on est poussé dehors, balancé de lieux en lieux, boule de flipper. Pourtant ce soir, un temps durant, dans l’épuisement du jour, trouver un toit est réconfort.
Le sommeil est de plomb dans les lits de la maison douillette. Même si l’attente d’un éventuel nouveau passage crée tension.
Tu as dû poser ton téléphone au plus prés. Mais cette fois, le bateau n’atteindra pas la plage et le départ annoncé est annulé.
Au matin, je me pose avec vous le temps d’un café et de quelques photos.
Sont vivants les enfants, sont vivants les enfants qui ont connus pourtant déchirements, chagrins et pertes.
Il a fallu quitter la Syrie en guerre et croire à une vie installée dans un autre pays d’Europe.
Mais l’insécurité gangrène et gagne parfois, et il faut repartir. Avec les accords de Dublin, le choix n'est pas, alors ce sera l’Angleterre.
Sont vivants les enfants car c’est vivre cela : le partage de la joie.
Parce qu'ils ont soif de jeux de rire et de pirouettes, ils ont soif de bonbons et de danse, de chants et de bonnes fausses manières.
On se laisse tirer le portrait, on prend la pose, on tire la langue, on fait le beau et des tas de manières, on essaye l’appareil photo, on veut plus tout le temps.
On s’amuse, on défait les lacets, on grimpe le long des pentes.
L’espoir désespéré de vivre contre les vents mauvais.
Au sommet de la vie, j’ai rencontré ce matin là, ce qui retardera mon hiver.
("L'espoir désespéré de vivre", titre de cette note, est une phrase empruntée à un poème de Jean Pierre Siméon. Levez vous du tombeau)
;;;
Rédigé à 14h22 | Lien permanent
...
(3/4)
Après l'échec de la traversée, il faut dormir. Trouver un abri.
Alors on a proposé à certains de se mettre au chaud, chez des habitants solidaires qui ouvrent le temps d'une nuit leur logis.
Mais pour quatre d'entre eux, pas de solution.
Il reste un dessous de pont, quelques couvertures, un peu de nourriture.
Il reste pas grand chose à notre humanité quand on n'a rien d'autre à proposer.
ça fait mal.
Et pendant la nuit, les forces de l'ordre les délogent. Doit on dire : comme si cela ne suffisait pas.
Au matin, le sommeil est lourd malgré tout.
Le vent s'est levé la mer est grosse.
Il n'y aura pas de nouvelle tentative avant la fin de semaine.
Il s'agit de repartir vers Calais. Des ravins entre les collines.
Rédigé à 12h43 | Lien permanent
(...)
2/4
...
Taxi Boat, c’est comme ça qu’on appelle ces embarcations venues de la mer. Celui ci, on l’avait vu partir au loin, mais voilà : il revient.
Lentement, se met de travers, les vagues font remonter l’embarcation, houle académique.
Le bord est proche, on s’avance un peu dans l’eau, on rentre dans la mer, lui se rapproche encore, chargé déjà.
Il faut faire vite, l’hélice du moteur mord le sable et crache de la fumée.
Nos corps ensemble et séparés, chacun, il faut les porter loin devant, rentrer dans l’eau, plus le choix à présent.
Et la mer gelée qui recouvre la poitrine et ce froid, ça coupe le souffle.
Les habits engluent. Le sac pince la peau. On s’accroche à du vide, on regarde autour comme on peut et tout est tendu vers l’embarcation qui tangue.
Déjà sur le bateau, une dizaine d’hommes assis sur les rebords, en équilibre.
Je m’avance avec eux.
Fouad est au bord, il crie à tout rompre, téléphone à la main. Sur la corniche, sa femme enceinte, et les enfants. Bloqués, empêchés d’aller plus loin, les forces de l’ordre font barrage. Lui montre du doigt les uns les autres, sa col!re, un abime.
Mouawad, eau jusqu’au cou, tente de grimper. On le repousse. Il ne comprend pas. Insiste. On le repousse encore. La tête sous l’eau, le poids de ces quarante cinq ans, pourquoi.
Des sacs d’eau, bouée dans la main, le manteau dont on se défait, le gilet absent.
Le taxi boat s’éloigne et on sent bien que cette fois, c’est définitif.
Des tongs flottent et sont ramenés sur le bord.
Ça ne tient pas, cette panique, cette précipitation. Les forces de l’ordre cette fois n’interviennent pas, mais vigie fait peur et les exilés ne les ignorent pas, menace jamais lointaine. Car ils savent que d’autres fois, le bateau crevé, éviscéré et les coups et les cris.
Mais voilà l’échec est là pour aujourd’hui, l’impatience du passeur, la houle qui monte, les engagements qui ne tiennent pas.
Remonter vers la corniche. Et dans cette drôle de silence, entendre battre les coeurs déchirés par ce nouvel échec.
Pourtant, il faudra pourtant raviver encore, et raviver sans relâche cette volonté d’y aller et de prendre ce chemin impensable de la mer.
Je remonte avec eux, on ne parle pas.
Ce qui vient de se passer est lourd. Je comprendrais plus tard, on m’expliquera.
A présent, il s’agit de se sécher, de se changer, mais c’est comme si le corps n’existait plus.
La sidération autant que l’eau ont tout envahi.
Rédigé à 11h51 | Lien permanent
(...)
1/4
Car il s’agit c’est sûr de rejoindre le point de localisation.
Celui indiqué par le passeur. Avancer sans traîner, aller vers.
Marche vive et lourde tout à la fois, un poids qui freine, la peur peut-être, l’incrédulité, la fatigue des jours, la nuit sans sommeil.
Chacun est dans sa tête, le corps lui, on sait pas. Plus vraiment là. Pesant, douloureux probablement. Mais va savoir.
On veille au début, ne pas trop se mouiller, les pieds. Puis on oublie. Certains retirent leurs chaussures. Certains sont aguerris, d’autres pas. La mer est là, glisse sous les mollets.
Des rochers à franchir. On se demande. Tension du dedans. C’est où ? C’est quand ? On suit. Ne pas tomber, ne pas glisser en passant les rochers, on tient son maigre sachet ou le gros sac qu’on a embarqué ou même rien des fois.
Lui, on l’a croisé hier, cet homme au bien trop lourd sac, il marchait dans la zone des dunes, la Slack. Il cherchait le groupe, avec son ami, tous deux hagards. On s’est arrêté, quelques bouteilles d’eau du pain, les regards s’ouvrent à peine, hagards encore. Le voilà maintenant ici, à la traîne. Je me place derrière lui. On sent le poids de tout, pas d’allégresse.
Le ciel est clair pourtant, et les reflets d’or, sans vent.
Parmi eux, un jeune garçon aux yeux clairs, il n'a pas quinze ans.
On se parle un peu. Je n'ose pas le prendre en photo de face, il m'impressionne.
On s'arrête, on reprend la marche, on s'arrête encore.
Devant ça parle fort, ça s’agite, l’embarcation est en vue.
Il faut presser le pas.
(...)
Rédigé à 09h50 | Lien permanent
..
Chaque aide aux naufragés est une rencontre. Et certaines rencontres sont bouleversantes.
Il s’appelle Abdula. Il vient de Syrie. Ce matin, il a tenté pour la troisième fois la traversée de la Manche qui doit le mener en Angleterre.
C'est le lever du jour, le Taxi-Bat s’éloigne, lui nage un peu pour le rejoindre, trop tard. Abdula doit renoncer.
Quelques heures après ce moment, il est au cimetière de Boulogne. Il se recueille sur la tombe de ses deux frères, décédés en janvier dernier.
Nous étions nous aussi à cette sépulture face à ces deux cercueils posés dans l'herbe.
Il nous raconte son histoire, leur histoire.
Il nous montre des photos de son grand frère, nous explique ce qui s'est passé.
C'est vertigineux, cette coïncidence, et ce que l'on tente de démêler.
On partage des vidéos de la fête qui a eu lieu la veille du naufrage, on tente d'observer ses frères, vivants.
De la Syrie, un peu plus tard dans la soirée, il appelle sa mère qui s'adresse à nous et nous exhorte : "prenez soin de mes fils : ceux qui sont morts et celui qui vit et qui est à vos côtés, faites qu'il reste en vie".
Récit à venir. Publication en cours.
...
Rédigé à 11h40 | Lien permanent
...
"D'abord on ne voit rien
On ne se souvient que de l'eau peut-être
Nous naissons aveugles
Et peu à peu on perçoit
Les pupilles rencontrent la lumière
Le temps que l'espace trouve l'immensité des yeux
Ce qu'on nomme réalité
(...)
Réintégrant l'horizontalité
(...)
Par l'entrebâillement des rideaux le jour imprime les mouvements du vent dans le feuillage
Cette danse est un combat dans l'existence du chêne
Le cinéma muet du soleil abolit les frontières de la lumière et du feu"
Ritta Baddoura.
Rita parmi les bombes.
Parler étrangement.
Rédigé à 09h54 | Lien permanent
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En février dernier, je découvre le travail de la Pass à l'hôpital de Calais (documentaire sonore à venir).
Dans ce lieu, ce qui est à l'oeuvre avant tout : l'attention pour chacun.
Des personnes en situation d'exil, au corps abimé, au corps fatigué.
Des personnes qui trouvent ici, un espace de soin.
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"Si la sécurisation des frontières touche au corps pour empêcher les migrants de passer mais aussi pour les faire partir, elle renforce donc également une distinction symbolique qui fait que seuls certains corps incarnent la frontière et la transportent avec eux. Cela interroge la façon dont les policiers construisent des corps présupposés illégaux, les critères par lequel ils les reconnaissent et les catégorisent mais aussi les techniques de passage et de détournement"
https://www.cairn.info/revue-corps-2016-1-page-31.htm#pa5
Rédigé à 12h02 | Lien permanent
(...)
Il faudrait. Il faudrait commencer là. A cet endroit, précisément.
Deux grands trous. Deux monts de terre. Un arc-en-ciel improbable qui découpe le ciel. Des hommes. Des hommes qui viennent pour certains d’Iran, pour certains de Syrie, du Sénégal aussi. Ils sont une quinzaine. Un homme au parka vert, pull bleu tendu, est debout, voûté, au centre de la scène. Des pleurs et de la colère.
Il faudrait commencer là, à cet endroit. Face aux cercueils posés un peu plus loin dans l’herbe si verte, si fraîche : deux cercueils.
L’un d’entre eux est plus léger, il contient le corps d’un enfant de 14 ans.
Un jeune syrien. Et son frère juste à côté, âgé de 26 ans.
Je ne pensais pas qu’un jour je me retrouverais là, à vivre quelque chose d’aussi impensable.Dans une ville du Nord de la France, Boulogne sur mer, deux jeunes garçons qu’on met en terre, venus de si loin, deux jeunes garçons dont la vie s’est brisée, fracassée sur cette frontière. L’Angleterre n’était pourtant plus si loin.
Nous sommes le 17 février. Le naufrage a eu lieu dans la nuit du 13 au 14 janvier au large de Wimereux. Abadeh et son frère Aysar ainsi que trois de leurs amis Mohamed 18 ans, Ayma et Ali 25 ans y ont laissé leur vie.
C’est ici que commence le récit que j'ai commencé à écrire et qui va se poursuivre dans les mois qui viennent.
Et dans ce récit, il sera question d’exil et de traversées, de mémoire et d’engagement. Pour interroger et comprendre ce qui se joue pour de vrai sur ce littoral frontière.
Pour montrer et saisir comment la frontière transforme le rapport à soi, à l'autre : ici c’est toujours à “corps perdu” que les choses se vivent. Pour remplacer le sentiment d’impuissance par un acte d’écriture et pour prendre soin de l’histoire de chacun.
Et surtout pour rendre visible ce que l’on cherche volontairement à faire disparaître.
Les vivants parlent, mais les morts parlent aussi, je le sais.
Rédigé à 21h27 | Lien permanent
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Je suis revenu du littoral-frontière et je n'en reviens pas.
Et ne le souhaite peut-être pas.
Depuis, plus fort encore, je lis, j'écoute et rejoins en pointillés mes ami(e)s engagées et mes amis exilés, pour certains en demande d'asile à Boulogne, pour d'autres passés en Angleterre
A mon retour, d'abord de manière un peu désordonnée, puis peu à peu, en pleine présence et construction d'un rapport plus documenté.
Et dans le reste de ma vie, une présence plus entière, plus engagée.
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Je découvre depuis quelques jours, le travail d'Aimée Thiron, relis le travail de Maël Galisson et je parcours des nombreux textes qui disent.
J'écoute aussi de nouveaux témoignages, de nouveaux documentaires.
Aujourd'hui le texte de Guillaume Le Blanc, publié dans Libération en 2016, vient résonner fort : PULSION DE MUR A CALAIS
"La politique consiste parfois à faire avec, et c’est tant mieux. Elle consiste souvent à faire sans, et le pire peut être craint.
Effacer plutôt que créer est le signe d’une grande tristesse, de la diminution des puissances d’être plutôt que de leur augmentation.
A Calais, depuis mercredi, un mur de 4 mètres de haut est en cours de construction, sur une longueur d’un kilomètre, prolongeant les clôtures grillagées existant de chaque côté de la rocade menant au port de Calais. La construction ira bon train puisque la préfecture du Pas-de-Calais indique qu’il sera fini à la fin du mois de décembre. Les bétonneuses sont déjà à l’œuvre, sous la surveillance des CRS. Financé par la Grande-Bretagne pour un coût de 2,7 millions d’euros, il est défini conjointement comme un mur antibruit et un mur anti-intrusion.
Dans un monde qui croit toujours plus aux nations, les migrants sont tout à la fois un bruit et une intrusion, une horde de barbares qui tendent tous les soirs des pièges sur la route et dont il faut se prémunir.
La logique retenue est une logique du pire plutôt qu’une logique du sens.
Le pire, c’est d’effacer le problème en le rendant invisible.
Le sens, c’est de procéder par exemple à un démantèlement raisonné de la jungle en créant des centres d’accueil dans toutes les régions de France afin de procéder à une politique de l’individu, de la demande d’asile pour les uns à la traversée en Angleterre pour les autres, en passant par la reconduite pour ceux qui le désirent.
Mais la politique fait sans les gens et le pire s’installe.
Faire avec les Calaisiens ? Mais qui a vraiment voulu le mur ? La maire LR de Calais ? Le président de la région Hauts-de-France ?
Selon eux, il est devenu inutile depuis l’annonce du ministre de l’Intérieur de fermer la jungle et de répartir les migrants sur l’ensemble des régions. L’Etat français ? Il semble, en la matière, plus spectateur qu’acteur. En réalité, le premier mur-frontière en Europe depuis la construction du mur de Berlin est l’œuvre, en France, de la Grande-Bretagne qui entend ainsi maintenir davantage les migrants à distance.
Calais est en passe de devenir un merveilleux exemple de collaboration européenne où un pays peut implanter dans un pays tiers un mur qu’il finance intégralement pour empêcher des migrants d’autres pays déjà présents en Europe d’entrer plus avant.
Il y a là une rupture sans précédent dans notre compréhension de la politique.
Souvenons-nous qu’en septembre 2015 la France s’était publiquement indignée qu’un fil barbelé soit dressé à la frontière hongroise et serbe pour écarter les migrants au nom des valeurs communes de l’Europe. Moins d’un an plus tard, c’est bien en France que se crée un mur frontière sans précédent pour écarter les indésirables
Comment comprendre ce retournement de perspective si ce n’est que nous avons là la confirmation tragique de l’effondrement de toute politique de la bienveillance en Europe ?
Nous percevons à nouveau l’autre comme un ennemi et nous nous arc-boutons désespérément à la nation en convoquant le symbole tristement cynique d’un mur végétal pour lui donner une apparence de réalité.
La philosophe américaine Wendy Brown a parfaitement souligné que la politique de l'emmurement est chargée de restituer à la souveraineté nationale un octroi de puissance qu'elle n'a en réalité plus : «Si le Mur est une affirmation de souveraineté, c'est aussi un monstrueux hommage aux Etats-nations souverains dont la viabilité est déclinante.»
Le mur s'édifie quand la souveraineté est fissurée.
C'est que la réalité n'est plus seulement celle des nations mais bien aussi celle des migrations.
A ne voir que la première, nos politiques sont incapables de comprendre l'épaisseur tout autant que la consistance historique des flux migratoires.
Aussi n'hésitent-elles pas à recycler les pires symboles pour restituer un court instant la croyance dans la souveraineté nationale qui est pourtant en passe de devenir un habit sans corps.
Quel est le sens de cette pulsion de mur ?
Faire disparaître légalement des vies, sans les tuer, en les rendant invisibles.
Dans les temps anciens, l’invisibilité était gage d’une puissance occulte redoutée.
Gygès, devenant invisible grâce à son anneau, s’empresse de se livrer aux pires méfaits. Par un singulier retournement, l’invisibilité est devenue non plus gage de puissance mais bien aveu d’impuissance, elle est désormais liée aux parias d’aujourd’hui. Etre rendu invisible par un mur, par la présence d’une frontière, c’est ne plus exister vraiment, c’est devenir fantôme parmi les humains. La vie sociale est spectrale en ce qu’elle produit une armée d’invisibles.
C’est là, de plus en plus, la façon de traiter la question sociale : faire disparaître les plus précaires d’entre nous, s’assurer qu’ils ne reviennent pas trop hanter notre cité.
La construction du mur de Calais répond de cet impératif d'invisibilisation.
Il entend soustraire à la vue des Calaisiens leurs doubles encombrants pour les reléguer dans une nuit sans espoir.
L'histoire des murs est toujours l'histoire d'un échec mais c'est aussi dans le même temps l'échec de toutes les histoires.
Histoire d'un échec car comment croire que le mur, qui fait du port une oasis interdite aux migrants, pour sécuriser le périphérique calaisien et empêcher les migrants de pénétrer dans les camions en partance pour l'Angleterre, résoudra quoique ce soit ?
Echec de toutes les histoires car cela revient à affirmer que les individus qui se trouvent derrière ce mur ne nous concernent plus auront disparu puisque nous ne les voyons plus. Créer une communauté maudite, soudée par la seule force de l'exclusion, est-ce là une vocation politique démocratique ?
Hannah Arendt nous donnait la réponse en 1951 : «Pour les sans-droits, la calamité n'est pas d'être privés de vie, de liberté, de toute possibilité de bonheur, d'égalité devant la loi. Pour eux, le pire est de ne plus pouvoir appartenir à aucune communauté.»
Guillaume Le Blanc - Dedans, dehors. La condition d'étranger, Seuil, 2010.
Rédigé à 20h21 | Lien permanent
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Rédigé à 13h53 | Lien permanent
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Cet après midi là, le vent ne souffle pas à Wimereux.
Le poids du monde sur des épaules qui se plient, à force.
Ils sont une cinquantaine. Une cinquantaine de réfugiés
Et pour certain prés d'une dizaine de tentatives de traversée pour l'Angleterre.
On se pose au sol, on discute un peu, on parle à distance avec ceux qui sont restés au pays.
On se regarde dans le petit écran, on se sourit.
"C'est ma soeur, elle est jolie non ?, moi j'ai vieilli tellement"
Quelques bénévoles activistes tendent gâteaux, compote et un peu d'eau
aident aux changes pour les bébés.
Je ris avec certains, je plaisante avec un rien.
“Mon rire est saccadé parce qu’entre chaque ha coule une larme”
Parce qu'ici, on résiste parfois avec peu.
Dany distribue des sucettes
"Une autre, la mienne est tombée dans les graviers"
On peine à croire ce chéri-vari, le train qui n'arrive pas
pour reconduire vers les camps.
Avant une autre traversée.
Une autre peur.
Un autre danger.
"On n'a pas le choix la France ne veut pas de nous et la Syrie pour nous ce serait la mort"
Tout un après midi là ici, sur le quai d'une gare, pour comprendre que si ça se brise à chaque fois
quelque chose d'un espoir doit renaître à chaque fois.
Je photographie dans cette zone frontière depuis trois ans, je saisis des moments, des visages, des rencontres.
Je photographie pour rendre incontournable cette réalité humaine.
parce que...
Ici, des gens se cachent, se blessent, meurent dans les dunes, sur le quai des gares
Ici, des gens coincés dans cette zone frontière, vont subir de plein fouet, la politique de répression.
Ici, c'est un terrain de guerre où comme dans chaque guerre les premières victimes sont les enfants.
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Rédigé à 19h39 | Lien permanent