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ce soir là, dans le jardin en face de la maison.
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"Et si l’espérance était fille de la volonté ?
N’est-ce pas quand tout est fichu qu’il faut s’accrocher à cette belle vertu que les esprits forts jugent « niaiseuse », comme on dit au Québec ?
Prenons la période actuelle, riche en raisons de se désespérer et de ne plus croire en l’homme, espèce d’animal dégénéré, fidèle à sa réputation de « loup pour l’homme ». Quand tout s’écroule autour de vous, quand le ciel est noir d’encre, que la vie paraît sans perspective, comment ne pas éprouver la tentation de cette folie qu’est l’espérance ?
L’espérance en dépit de tout. En dépit des autres et de leur méchanceté vaine, de leur bêtise au front de taureau. Malgré leur sanguinaire besoin de massacrer, d’éliminer les autres de la face de la terre. En dépit des appétits des puissants, jamais rassasiés, écrasant de leur mépris les petits, les sans-grade, tous ceux que le pouvoir ne tente pas, ni l’abondance ne fait jouir d’avance.
En dépit du malheur, qui s’étale à chaque page, poser comme acte suprême de foi que l’espérance est tapie dans l’ombre froide et suintante, comme au fond d’un tunnel sans joie ou d’un tombeau vide.
« Méthode Coué », répliqueront les malins, les nihilistes de tout poil se moquant de votre quête , le incessante de réassurance. Il faut la revendiquer comme un droit de l’homme, éminemment précieux, que cette espérance en un débouché de ce tunnel sinistre que paraît trop souvent une vie coincée par le malheur, la souffrance et l’absence de perspective.
Le zonzonnement perpétuel de l’actualité n’est pas porteur d’espérance. Il véhicule constamment une désespérance épaisse comme une glu qui colle à la peau, à l’âme. Difficile d’y échapper, même quand vient l’âge des détachements.
Cette désespérance passe par tous les canaux de la « communication », par toutes les ondes mises en place autour de nos cerveaux affaiblis par le progrès. Elle sollicite, de l’aube au couchant, les plus disposés de nos neurones à tendre l’oreille vers la musique des sphères. Cette désespérance, il faut se l’arracher de l’âme, l’extirper avec vigueur, rage et détermination. C’est un combat de chaque matin.
Le printemps rend ce combat plus aisé à mener. La lumière revenue pousse à considérer avec un peu plus de joie les perspectives des germinations : il va se passer quelque chose. On ne va pas en rester là, à cet hiver qui a tout figé dans l’immobilité et la grisaille. Il va venir quelque chose ou quelqu’un qui va nous tendre la main et nous dire, en peu de mots, que cela valait la peine d’avoir subi ce long hiver pour en arriver à cette merveilleuse perspective de délivrance qu’offre le printemps des cœurs.
Cette espérance-là, on vous le dit, peut s’appuyer sur l’intelligence et la force de la volonté. Nous pouvons, à plusieurs, la construire, l’édifier comme un rempart contre les peurs et comme une solution contre les larmes, l’ennui et toute souffrance.
Dans les pires moments de l’histoire, et Dieu sait si celle-ci en fut riche, il s’est trouvé des hommes capables de se dresser ensemble contre l’horreur et la malfaisance. Ils l’ont fait dans l’anonymat de l’héroïsme ou la clandestinité de la minorité. Ils étaient battus d’avance, ils y sont allés quand même."
Bruno Frappat.