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Nous avons peu quitté notre campagne ces derniers jours.
Nous avons marché, nous avons lu, nous avons savouré les instants, des moments de vie plus dense.
Et puis nous nous sommes confrontés à nouveau au monde et nous avons pris le monde en pleine face
Et là...
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C'est la pensée d'Annie Le Brun qui m'aide à dépasser le "choc", son regard acéré sur notre époque qui rogne la vie poétique m'aide à y comprendre un tant soit peu, quelque chose.
Extrait :
"Une des plus graves formes d'aliénation aujourd'hui réside dans le fait de ne pas voir que tout se tient, la culture de masse correspond au crabe reconstitué, le matraquage médiatique aux pluies acides,le relookage des villes, à la chirurgie esthétique...Reste que tout cela ne vient pas seulement du méchant capitalisme, mais résulte d'une conception UTILITARISTE de la vie.
Nous sommes aujourd'hui envahis par le TROP de REALITE, cette réalité excessive que la SATURATION d'informations gave d'événements dans un carambolage d'excès de temps et d'excès d'espace...
Ce trop de réalité se manifeste d’abord, dit-elle : « par une forme de censure inédite, qui ne repose pas sur le manque mais sur l’excès : une censure par l’excès, d’abord liée aux impératifs de la marchandisation à outrance voulue par la rationalité
technicienne, qui détermine désormais toutes les formes de consommation.
Celle-ci devant s’imposer en simulacre de liberté, il n’est pas un domaine qui ne nous rappelle à ce devoir d’engorgement, qu’il s’agisse de l’alimentation, de l’information ou de la sexualité…
Au point que cette censure par le gavage se confond avec une mobilisation à plein temps, qui équivaut pour chaque individu à une expropriation de soi-même.
Et ce dressage commence dès le plus jeune âge. Car, au-delà des jouets d’une laideur particulièrement agressive dont l’enfance est aujourd’hui submergée, aucun instant ne lui est laissé. Voilà les tout-petits comme les plus grands d’emblée condamnés à « vivre sans temps morts »
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Pourquoi n’y aurait-il plus assez de jeunes gens assez passionnés pour déserter les perspectives balisées qu’on veut leur faire prendre pour la vie ? Pourquoi n’y aurait-il plus d’êtres assez déterminés pour s’opposer par tous les moyens au système de crétinisation dans lequel l’époque puise sa force consensuelle ?
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Et nous sommes particulièrement démunis pour résister à la servitude volontaire.
Mais le langage, aussi malmené soit-il, reste une arme que chacun peut se réapproprier, ici et maintenant.
À travers lui, il est possible de reprendre à ce monde une part de ce dont il nous dépouille jour après jour.
Un peu comme les anarchistes au début du XXe siècle pratiquaient la reprise individuelle, saisissant chaque occasion pour reprendre à la société une part de ce dont elle les avait spoliés.
Car le langage est un étrange trésor qui n’appartient à personne, mais dont tout le monde peut s’enrichir – et que chacun est à même d’enrichir
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