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(...)
Mon père m'a dit un jour
Un jour que j'étais en
légère errance
Ecoute moi bien fils
Aujourd'hui quand on veut la lune
On est pas poète on est cosmonaute
Mon papa
Je m'en viens juste d'alunir
J'regarde si j'vois pas la maison
Et je prends le temps de t'écrire
Pour te dire que t'avais raison
Mon scaphandre il est pas nouveau
Mais il sent très bon la sueur
Je te salue d'chez mon boulot
Le front déposé sur ton cur
La bande à collègues et pis moi
On est content d'êt' cosmonautes
Au début on avait les foies
Mais on s'est tous collés aux autres
J'étais pas vaillant au labeur
Mais d'Armentières à Baïkonour
J'ai tenté d'jolier les heures
Sachant que t'aurais tout fait pour
Aujourd'hui dans ce grand bordel
J'essaie d'gueuler en souriant
Et de tracer à tire-d'ailes
Un dessin qui unit les gens
Mon papa
Je m'en viens juste d'alunir
Dis-moi si t'aperçois ma flamme
Le plaisir qu'j'ai à divertir
Et salue ma maman ta femme.
Rédigé à 07h48 | Lien permanent
(...)
Il est question de danse, de lieu, d'énergie.
Il est question d'enfance.
Dans le cadre de Dans(e) mon abbaye, Olivier propose à des enfants d'explorer un autre espace, un autre langage.
Leur corps raconte l'histoire et la personnalité de l'être qui les habite.
L'individu transpire toujours dans sa danse.
Voilà pourquoi le geste parfait reste humain.
Ces enfants là ont mis corps et âme en mouvement.
Et ça se voit.
En extrait (seulement) ici.
Rédigé à 19h36 | Lien permanent
(...)
c'est avec vraiment,
une émotion vive que j'ai appris
aujourd'hui
que ma petite nouvelle avait fait son grand bout de chemin
et qu'un jury et un éditeur lui offraient le plus beau des écrins.
et même si j'ai ce soir le manque du mot,
je sais à présent
que les piquenaques,
les mauvais sortilèges et autres ornières
ne peuvent empêcher
le soleil de briller.
(...)
Sortie annoncée de cet objet littéraire : mars 2016.
(...)
Rédigé à 23h28 | Lien permanent
(...)
RCF ANJOU en direct de Saumur.
On déménage les studios pour une émission spéciale.
Ma petite chronique hebdomadaire pour l'émission BOUQUIN BOUQUINE,
Cette semaine, Alix de Saint André et son Ange...
A fond les manivelles et dans l'humeur bonne.
J'ai aimé sentir l'écoute bienveillante de chacun, le soutien de mes compères du jour : Marie Jo Poisson, Michèle Hourtic, Damien LeBoulanger, Raphaël De la Croix.
Rédigé à 22h14 | Lien permanent
Rédigé à 21h42 | Lien permanent
« La peur et la joie. Pile ou face. On vit toute une vie avec ça. La peur ou la joie. Etre une pièce. On tombe d’un côté ou de l’autre. On choisit, plus ou moins, de quel côté on tombe. La joie est le dos de la peur. Quand l’une s’éloigne, on distingue le sourire sur le visage de l’autre. On est les deux. Une pièce. Qui vole en l'air. Qui tourne. Qui tombe. S'il n'y a personne pour nous lancer une nouvelle fois. On reste en bas. Le visage couché dans la poussière. L'idéal serait de rouler. Sur la tranche. C'est un idéal. Ou de rester en l'air. A voltiger. Eternellement. Jusqu'à ne plus avoir besoin de distinguer le sol du ciel. Comme un martinet. Un nuage. Un Yo-Yo. Un enfant."
Thomas Vinau.
La part des nuages.
(...)
Un week-end qui débute avec joie, peur et désir,
dans cette fragilité là.
(...)
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J'ai eu la chance de rencontrer Yann Tambour (Stranded Horse) lors de sa tournée 2011.
Le temps de réaliser toute une série d'instantanées.
http://prumtiersen.typepad.com/journal/2011/02/stranded-horse-humbling-tides.html
J'entretiens depuis avec sa musique un lien presque viscéral.
Heureux de partager avec d'autres aujourd'hui ce goût du sel.
Christian Losson pour Libération dresse un bien beau portrait :
"En ces temps d’épidémies, idéologiques ou virales, Stranded Horse tient de l’antidote.
A l’air du temps-recroquivellement, au rétrécissement des sentiments, aux migrations grillagées. A l’heure où les portes frontalières se claquent, où les solidarités s’émiettent, où s’agrègent les peurs, le projet de Yann Tambour sonne comme une ode salutaire.
Un hymne au nomade’s land. Mariages musicaux, métissages mélodiques, mixités intuitives. «Je ne sais pas où j’en suis, ni où j’irai», sourit-il. Tant mieux.
Luxe est donc le troisième album de cet artiste normand aux portes de la quarantaine. Qui jamais ne se pose quelque part et toujours ne s’arrime qu’aux voyages et rencontres. Et se révèle, sur disque comme sur scène, comme le joyeux trait d’union entre folk anglo-saxon épuré, horizons mandingues rougeoyants et chanson française au lyrisme contenu. «Ma vie est celle de micro-existences diamétralement opposées aux frontières, d’une fuite des esthétiques monolithiques», dit ce passeur, pudique mais volubile.
On avait rencontré le garçon à il y a cinq ans (lire Libération du 15 février 2011), feu fuyant, âme flamboyante.
On l’a retrouvé consumé d’une flamme intacte ; animé d’une rare générosité qu’ont, peut-être, les hommes qui assurent partager sans compter. Accroche-cœur musical, il parle comme il joue, joue comme il conte, conte comme il s’évade.
Et si son «projet» a encore gagné en souffle, en ampleur et en majesté, c’est qu’il se nourrit de ces gués, ces ponts, ces passerelles, d’un monde sonore l’autre, d’un château de sable l’autre. Aventureux mais pas aventurier. Audacieux mais raisonné. «J’ai toujours pensé le développement de mon projet comme quelque chose de raisonnable, je n’aime pas les choses en dents de scie, mais les mutations en continu. L’inattendu, l’antimonotonie, les lignes de crêtes.»
Poseur ? Non : proseur, plutôt. L’homme tient du moteur de recherche, de l’agrégateur de contenu musical : «J’aurais pu faire un album avec des musiciens chinois, je pourrais le faire à la Réunion tant leur héritage est grand», dit-il. Au gré de ses respirations, de ses inspirations, l’on doit à ce Normand, en 2000, un autre «projet», plus rêche, à fleur de peau, mais tout aussi sincère (Encre), qui l’a électrisé une moitié de décennie.
Imbibé de folk made in UK, mais aimanté par le désir de l’autre, Yann Tambour a ceci de singulier qu’il se fout des modes. Mais sa production n’a jamais été autant d’actualité, tant elle s’affranchit des ronrons et ose flirter en permanence avec les marges.
Stranded Horse trace donc ses œuvres à coup de cercles concentriques, qu’il aime à élargir, telles des volutes de fumée. Cela lui donne un certain contrôle du temps et de l’espace. Lui fait concevoir une musique plus que jamais aux confins de la pop folk, nacrée d’embruns et de brume, de soleil et de sable. «C’est un garçon ovni qui m’oblige à frayer sur des terres que je ne pensais plus aimer écouter : le cross-over», dit de lui Sean Bouchard, le créateur de Talitres, incontournable label indé bordelais.
Kora.Lanceur de filets entre musique des mondes et musique de notre monde, dans la foulée de son deuxième album, paru en 2011, il a enquillé les tournées, plus de 400 dates, de par le globe. Il s’est posé à Dakar deux fois, y a rencontré notamment Boubacar Cissokho, cœur de kora encore non vampirisé par les labels occidentaux. Il s’en est suivi sessions, rencontres, galettes. Ainsi, une version du classique de Joy DivisionTransmission.
Le musicien y brasse les courants d’air froids et humides de Manchester sous le soleil chaud et sec du Sénégal. Avant d’effectuer une autre résidence à Toulouse.
Il prend le temps. Et le temps le lui rend bien. Luxe, qu’il aménage, coexiste, avec le trio Vacarme, ou Eloïse Decazes (Arlt), ou encore Amaury Ranger (Frànçois and the Atlas Mountains), aspire à la beauté.
Tel son rapport à la kora : l’alliance de l’instrument diatonique et de l’échelle chromatique impulse une détonnante dynamique.
Il n’a en rien la virtuosité de Boubacar Cissokho, qui en extrait toute la noblesse et la magie. Mais sa kora, faite maison, en kéno, érable et formica (formikora) lui permet de sillonner en permanence entre maîtrise et lâcher prise, lumière et clair-obscur, sans que l’on sache forcément dans quel sens l’alchimie opère."
Comme je sors de cinq jours sans téléphone portable, cinq jours de coupure grandement appréciés, les réflexions de Xavier de La Porte et de Matthew Crawford me font écho et un bien fou, car je ne suis jamais loin, d'être dans cette crise là. Une crise de l'attention. L'attention que je découvre comme un bien commun car partagé, un bien commun à définir collectivement. Réflexion pour une pratique professionnelle notamment, renouvelée.
(...)
"Il y a de ça quelques jours, j’ai eu un rendez-vous avec un homme qu’on pourrait qualifier de pouvoir, disons pour aller vite le dirigeant d’une entreprise qui, si elle n’est pas énorme, est au moins prestigieuse. L’heure et demie que nous avons passée à deviser agréablement m’a laissé une impression étrange, que je n’ai pas réussi à qualifier tout de suite. Il a fallu que je raconte ce rendez-vous à Florent Latrive, qui dirige le numérique ici-même à France Culture, pour que je comprenne ce qui m’avait frappé. Une chose toute bête. Entre le moment où j’avais serré la main à cet homme en arrivant, et celui où il m’avait raccompagné à l’accueil, il n’avait à aucun moment sorti son téléphone.
C’est bien simple, en essayant de me remémorer en détail ce rendez-vous, je n’arrive pas à me souvenir d’avoir vu son téléphone, au point que je ne sais pas s’il en a un. Or, il est improbable qu’il n’en ait pas. Mais pendant une heure et demie, il s’en est passé. Quand on y réfléchit un peu, c’est aujourd’hui un acte rarissime. Quelle que soit la nature des rendez-vous que nous avons, et de leur durée, il est presque impossible que le smartphone ne fasse pas son apparition à un moment ou à un autre : posé sur la table, sorti d’une poche, distraitement caressé, discrètement consulté, voire carrément utilisé pour regarder un fil Twitter, consulté ses mails ou carrément répondre à un texto. Et tout ceci pendant le cours de la conversation.
On pourrait analyser cette petite anecdote sous l’angle du savoir-vivre et considérer que cet homme, contrairement à la plupart de ses sembables, est un homme très poli, très bien élevé qui considère devoir à son interlocuteur sa pleine présence. Ou même, on pourrait expliquer cette attitude par une force de caractère qui nous pousserait à admirer cet homme pour son aptitude à résister à des sollicitations qui doivent pourtant être nombreuses. Ce sont deux lectures, pas forcément fausses, mais il y en a à mon sens une plus intéressante.
Dans un excellent livre qui va paraître dans quelques jours, le philosophe américain Matthew Crawford s’intéresse à la question de l’attention et à la manière dont le capitalisme contemporain, avec l’aide de toutes les technologies à disposition, créé une véritable crise de l’attention qui nous oblige à repenser les fondements de notre engagement avec le réel. Et au fil de cette analyse, Matthew Crawford fait une remarque pleine de sens. Prenez, dit-il, un aéroport. Les halls destinés au commun des voyageurs sont des jungles attentionnelles : des publicités partout, sur les murs, sur les sièges, les chariots, des télévisions qui tournent en boucle, des annonces sonores, de la musique parfois, tout venant s'ajouter à nos propres outils. Il suffit d’entrer dans une salle d’attente réservée aux voyageurs des classes affaires pour y trouver silence et tranquillitié des yeux. D’où sa conclusion : l’attention est devenue une denrée rare, donc une ressource de riches. Et Crawford de noter ce paradoxe : les personnes tranquillement assises dans ces salons classe-affaire, dans le silence et la tranquillité des yeux, sont sans doute celles qui participent au grand marché de l’attention qui produit des halls où il est impossible de se concentrer.
Et tout à coup, mon rendez-vous m’apparaît sous un nouveau jour. Certes, cet homme était sans doute poli et goûtait la concentration, mais surtout, il est suffisamment puissant pour se permettre la concentration : une heure et demie d’attention, une heure et demie pendant laquelle sa position lui permet qu’on n’exige pas de lui qu’il réponde à son téléphone ou à ses mails. Ou alors, une position qui lui permet que quelqu’un d’autre le fasse pour lui, car, l’attention étant devenue une ressource rare, on délègue désormais les sollicitations à d’autres. Ainsi donc, montrer qu’on peut accorder toute son attention à quelqu’un pendant si longtemps, alors même qu’on est très sollicité, est aussi l’affirmation d’un statut.
On voit donc qu’il est insuffisant d’analyser cette question de l’attention sous l’angle de la seule morale personnelle (« moi j’ai mes trucs pour rester attentif ») mais qu’il y a quelque chose de profondément politique dans cette question. Au point que Matthew Crawford propose une solution très séduisante : il faut considérer l’attention comme un bien commun. Au même titre que d’autres ressources menacées de rareté ou de dégradation – l’eau ou l’air par exemple -, il faudrait imaginer une gestion de l’attention qui ne soit pas ni publique (parce que si l’Etat a le monopole de la gestion de l’attention, on peut craindre le pire), ni privée (ça c’et ce qu’on connaît et c’est pas top), mais commune donc. On pourrait décider collectivement de ce qu’on accepte comme sollicitations au lieu de laisser chacun dans l’illusion de sa pseudo autonomie. Il y a de l’utopie là-dedans, certes, mais ça a au moins le mérite de montrer que si on ne fait pas de l’attention une question politique, on en restera à se plaindre de l’impolitesse de nos semblables, ce qui est peu fertile."
Xavier de La Porte.
En écoute ici : France Culture. La revue Numérique
Rédigé à 13h10 | Lien permanent
(...)
Le soir.
C'est un drôle état de vie que celui de la nuit qui s'approche.
C'est comme du plomb. Le silence qui s'installe.
Relire quelques lettres envoyées ou reçues de très loin.
Ecrire quelques phrases, les effacer.
Sauver un peu de la douceur de la journée,
retenir quelques bribes, tisonner encore
la cheminée.
Feuilleter un livre ou deux,
penser à cet îlot de douces journées passées
toutes ces choses qui font "chaud au coeur", saveurs.
Ne pas fermer les volets, s'allonger tout près,
profiter encore.
Rédigé à 20h55 | Lien permanent
Juin 2015. Couesne.
(...)
Un matin blanc de février. L'air frais.
La vision d'un enfant cherchant sa place dans un monde d'adultes
indifférents ou maladroits.
C'est ça qui me vient à cette heure du jour, ce qui affleure hors les mots.
(...)
>Et les bribes d'Antoine Emaz en écho :
"C'est à force de voir que je comprends un peu."// "Qu'il y ait une fenêtre n'enlève pas les murs"//"Tête liée : comprendre les liens, pas forcément les défaire"//"Pas besoin de beaucoup d'espace si l'on creuse"//"Trop réussir enlise. Risquer, toujours"
Rédigé à 13h55 | Lien permanent
(...)
"On peut donner bien des choses à ceux que l'on aime.
Des paroles, un repos, du plaisir.
Tu m'as donné le plus précieux de tout : le manque. Il m'était impossible de me passer de toi, même quand je te voyais tu me manquais encore.
Ma maison mentale, ma maison de coeur était fermée à double tour.
Tu as cassé les vitres et depuis l'air s'y engouffre, le glacé, le brûlant, et toutes sortes de clartés."
(...)
Christian Bobin.
Rédigé à 22h52 | Lien permanent
(...)
Nous avons peu quitté notre campagne ces derniers jours.
Nous avons marché, nous avons lu, nous avons savouré les instants, des moments de vie plus dense.
Et puis nous nous sommes confrontés à nouveau au monde et nous avons pris le monde en pleine face
Et là...
(...)
C'est la pensée d'Annie Le Brun qui m'aide à dépasser le "choc", son regard acéré sur notre époque qui rogne la vie poétique m'aide à y comprendre un tant soit peu, quelque chose.
Extrait :
"Une des plus graves formes d'aliénation aujourd'hui réside dans le fait de ne pas voir que tout se tient, la culture de masse correspond au crabe reconstitué, le matraquage médiatique aux pluies acides,le relookage des villes, à la chirurgie esthétique...Reste que tout cela ne vient pas seulement du méchant capitalisme, mais résulte d'une conception UTILITARISTE de la vie.
Nous sommes aujourd'hui envahis par le TROP de REALITE, cette réalité excessive que la SATURATION d'informations gave d'événements dans un carambolage d'excès de temps et d'excès d'espace...
Ce trop de réalité se manifeste d’abord, dit-elle : « par une forme de censure inédite, qui ne repose pas sur le manque mais sur l’excès : une censure par l’excès, d’abord liée aux impératifs de la marchandisation à outrance voulue par la rationalité
technicienne, qui détermine désormais toutes les formes de consommation.
Celle-ci devant s’imposer en simulacre de liberté, il n’est pas un domaine qui ne nous rappelle à ce devoir d’engorgement, qu’il s’agisse de l’alimentation, de l’information ou de la sexualité…
Au point que cette censure par le gavage se confond avec une mobilisation à plein temps, qui équivaut pour chaque individu à une expropriation de soi-même.
Et ce dressage commence dès le plus jeune âge. Car, au-delà des jouets d’une laideur particulièrement agressive dont l’enfance est aujourd’hui submergée, aucun instant ne lui est laissé. Voilà les tout-petits comme les plus grands d’emblée condamnés à « vivre sans temps morts »
(...)
Pourquoi n’y aurait-il plus assez de jeunes gens assez passionnés pour déserter les perspectives balisées qu’on veut leur faire prendre pour la vie ? Pourquoi n’y aurait-il plus d’êtres assez déterminés pour s’opposer par tous les moyens au système de crétinisation dans lequel l’époque puise sa force consensuelle ?
(...)
Et nous sommes particulièrement démunis pour résister à la servitude volontaire.
Mais le langage, aussi malmené soit-il, reste une arme que chacun peut se réapproprier, ici et maintenant.
À travers lui, il est possible de reprendre à ce monde une part de ce dont il nous dépouille jour après jour.
Un peu comme les anarchistes au début du XXe siècle pratiquaient la reprise individuelle, saisissant chaque occasion pour reprendre à la société une part de ce dont elle les avait spoliés.
Car le langage est un étrange trésor qui n’appartient à personne, mais dont tout le monde peut s’enrichir – et que chacun est à même d’enrichir
(...)
Rédigé à 22h41 | Lien permanent
Balises: Annie Le Brun, la censure par l'excés, servitude volontaire
(...)
Se mettre à table, retrouver des cartons entiers de notes, d'articles conservés, de papiers, de photographies, de livres sans suite, de journaux intimes, de mots perdus qui témoignent de belles rencontres, d'amours, d'amitiés...
Trier, relire, redécouvrir des mots datés, un fatras de signes, parfois de la naïveté, d'autres fois une gravité et souvent, bien des pré-sentiments pour certains confirmés depuis...
Parmi tant,
j'ai vingt ans et j'écris :
"l'existence
est notre seul jeu.
Nous attendons sans cesse
des révolutions de la pensée,
des corps,
des institutions,
comme si dans l'envers
de nos solitudes
pouvait apparaître
le remède enfin atteint :
la quiétude de tout.
Ni espoir, ni attente
Le définitif abandon
à la jouissance de soi.
L'identité,
c'est encore
les gestes, les décisions
la délicatesse des amants
une manière
bien à soi
de quitter sa maison
de traverser des contrées
de se lier aux habitants.
Une manière particulière
d'aborder le regard
des passants
comme de remercier le ciel
pour un bonheur exaucé."
Rédigé à 22h25 | Lien permanent
(...)
Il n’y a véritablement de présence que par l’attention active et soutenue que nous portons à la réalité qui nous entoure. Chaque moment de conscience, chaque fragment d’existence recèle une sorte d’absolu. Mais l’habitude nous masque la radicale nouveauté de l’instant pleinement vécu, où l’être se déploie dans tout son éclat, où la vie jaillit d’entre nos mains avec la force et la clarté d’une source sans âge. (…)
Cette attention aux choses, aux êtres pour eux-mêmes, quels qu’ils soient, n’est pas seulement le commencement de la poésie, elle en est le sceau : l’homme qui regarde libère un sentiment grandissant de la vie. L’ordinaire s’embrase à son contact. Il y a en nous, il faut bien le reconnaî- tre, en marge de la frénésie de l’agir, une sorte de paresse spirituelle, une inertie de l’âme, qui végète le plus souvent. Mais le cœur ne peut aimer que parfaitement éveillé.
L’être n’atteint sa plénitude que par l’épanouissement de sa conscience, comme l’éclairage d’un puissant faisceau qui arracherait des bribes de vérité à la nuit de nos demi-sommeils. Chaque moment d’attention, de pleine conscience, se manifeste comme un retour à la source, autrement dit comme un nouveau départ, un nouvel essor. C’est ainsi que nous progresserons, que la vie se développera en nous, en s’enracinant plus profondément et en élargissant son champ de rayonnement.
La poésie n’est pas autre chose que cet état de perpétuel éveil, qui imprime tout son élan à l’émerveillement. En ce sens elle rejoint la prière, pas seulement par la louange, mais par l’ouverture du cœur au mystère qui habite la plus petite parcelle d’être..
Qu’est-ce que la poésie, sinon un surcroît de sens, un regard toujours neuf, une parole qui ne connaît pas l’usure et revient sans cesse sur cette brûlante énigme, ce même étonnement devant le monde que la prière rejoint dans les silences de l’âme ?
S’il n’est pas possible de goûter tous les trésors que recèle un instant, ce que l’on en peut saisir, apprenons au moins à le vivre avec intensité, avec générosité, en ranimant le feu éteint d’une conscience d’être que l’on a oublié de cultiver.
Philippe Mac Leod.
Rédigé à 11h31 | Lien permanent
(...)
« La médiocrité de notre univers ne dépend-elle pas essentiellement de notre pouvoir d’énonciation ? demandait André Breton en 1924. Annie Le Brun, comment retrouver ce pouvoir aujourd’hui ?
Si l’énoncé d’André Breton est juste, alors, nous sommes en grand danger, à constater comment, après nous avoir anesthésié avec sigles et formules ritualisées (« devoir de mémoire », « travail de deuil », « esprit citoyen », « développement durable », « principe de précaution »…), le langage semble aujourd’hui se développer en continuel déni de la réalité, dont la principale fonction est d’évoquer ce qui n’existe plus ou même ce qui n’existe pas – « aire de repos », « bureaux paysagers », mais aussi « bombe propre », « instrumentalisation légale », « frappes chirurgicales »…
Jusqu’à la vogue du mot « espace » dont on affuble les réduits : « espace liberté », « espace santé », « espace loisir », « espace beauté », inséré dans les non-lieux – aéroports, stations services, parkings, etc. – que cette société industrielle fait partout proliférer. Ainsi ai-je parlé d’un langage de synthèse qui ne renvoie pas plus aux choses qu’aux êtres.
Et il ne faut pas s’étonner de la tendance grandissante à rendre compte des attitudes et des sentiments au moyen d’un vocabulaire pseudo-scientifique, jouant sur une intimidation à la technicité, qui dénie ce qui nous reste de singularité. Ainsi, l’utilisation psychologique de termes comme « motivation », « gérer », « valoriser » ou encore « négocier » a pour effet de dévaloriser toute approche sensible. Un langage managérial est en train de se substituer au langage de l’intériorité. C’est en cela qu’il y a retournement du langage, au sens policier du terme, puisqu’il vise à nous désinformer sur nous-mêmes, en nous désapprenant à ressentir pour mieux nous désapprendre à discerner.
Alors que nous reste-t-il pour résister à cette emprise du rationnel ? La poésie ? Le merveilleux ?
Seule la révolte est garante de la cohérence passionnelle que chacun est aujourd’hui sommé d’abandonner pour faire allégeance à ce monde se servitude volontaire.
Et nous sommes particulièrement démunis pour y résister. *
Mais le langage, aussi malmené soit-il, reste une arme que chacun peut se réapproprier, ici et maintenant.
A travers lui, il est possible de reprendre à ce monde une part de ce dont il nous dépouille jour après jour. Un peu comme les anarchistes au début du XXème siècle pratiquaient la reprise individuelle, saisissant chaque occasion pour reprendre à la société une part de ce dont elle les avait spoliés. Car le langage est un étrange trésor qui n’appartient à personne, mais dont tout le monde peut s’enrichir – et que chacun est à même s’enrichir. (…)
« Il était une fois », dit le conte. Il dépend de chacun que cette fois soit encore. Le propre du merveilleux est de surgir quand on s’y attend le moins. Mais il faut le vouloir. C’est peut-être notre dernière chance, mais elle est immense. Car si la servitude est contagieuse, la liberté l’est plus encore. »
Rédigé à 11h12 | Lien permanent
(...)
L'art, un recours ?
Antoine Emaz répond, Angers, le 11.12. 2015.
"Depuis longtemps l’époque est vaseuse, mal respirable, peu propice… mais depuis un mois, on arrive à une saturation de violence et de bêtise qui laisse dans une sorte de K.–O. nauséeux. Alors, l’art comme recours ? Je ne sais pas.
Je crois que dans un premier temps, non. J’ai surtout besoin de silence, de distance, de solitude. Pas vraiment pour réfléchir, simplement pour me retrouver, et retrouver les autres, après. Une sorte d’écart. Si je pouvais partir au bord de la mer, je le ferais. Là, je marche souvent dans une longue avenue sans voiture, bordée de vieux platanes en tenue d’hiver, qui donne sur un grand jardin public. Ou bien, à la maison, je fais de la cuisine, me repose, travaille un peu. Je lis les recueils de poésie qui arrivent, j’écris aux amis ou dans le carnet ; si j’écoutais de la musique, je crois que serait du Bach, les suites pour violoncelle, ou en jazz, du Chet Baker, mais j’aime autant le silence.
Tu vois, je ne crois pas qu’il y ait, au moins pour moi, un recours spécifique à un art particulier en temps de misère. Au contraire, j’ai besoin de retrouver la présence normale, habituelle, quotidienne de l’art, c’est-à-dire sa capacité à nous ramener à la vie, à une possible beauté, à un espoir maigre, lucide. Les événements assez puissants pour nous couper de cette relation à l’art en le faisant apparaître comme vain, dérisoire, sont profondément mortifères. Cela ne veut pas dire s’aveugler et vivre dans une bulle esthétique ; de toute façon le dehors ne cesse de se rappeler à nous, il nous envahit dès que l’on allume la télé ou la radio.
Lorsque les circonstances assaillent, le plus nécessaire pour moi reste de tenir bon dedans, c’est-à-dire établir assez de silence et de lenteur pour « travailler à bien penser », comme le disait Pascal, qui pensait bien mieux et plus vite que moi. Travailler aussi la mémoire, et puis voir quoi faire, ce qui n’est pas si simple. Tout cela demande du temps et du calme ; l’art peut aider à retrouver son esprit en quelque sorte, mais autant que tout ce qui, au quotidien, nous permet de vivre. Il faut retourner du côté de la vie, sortir de l’ornière de la peur, la haine, la violence ; pour cela, le bouquet d’anémones bleues posé sur la table est d’un bon recours, aussi.
[…]
Rédigé à 22h32 | Lien permanent
(...)
(...)
Je voudrais vous parler de ces jours paisibles,
de ces journées not'maison de campagne, quand de chez soi, le monde surgit.
Ce sont nos instants de vivre.
Ce sont des instants uniques.
Si nous n'y trouvons pas la vie, où la chercherons-nous ?
Si nous n'y trouverons pas ce qu'est la vie, où pouvons-nous espérer vivre jamais ?
La vie est ici : la vraie vie, l'unique.
La vie est en ces instants : respiration, matière et sa lumière.
C'est notre demeure. Notre seule demeure, le présent.
Il n'y aura pas d'autres instants.
Cet instant est le seul, le nôtre.
Lever les yeux aux cieux. Tenir sa main dans la mienne.
Accueillir le printemps qui vient bien trop vite et que l'on retient
dans nos yeux en portefeuille, nos mains désirantes.
Intimité de nos moments vécus, partagés.
(...)
(...)
Ce temps comme un partage
comme une infusion, comme un coton très doux
comme une bonne mine, une saveur immobile.
"Ce temps de vivre, d'être libre, mon amour"
(...)
Rédigé à 22h10 | Lien permanent
(...)
Quand les douleurs s'arrêtent...
nos jours portent un sentiment de bonheur et de légèreté
qui résonnent dans nos coeurs,
ce petit plus qui nous est donné : le sel de la vie :
"Je vous parle des frémissements intimes qu’apportent de petits plaisirs, des interrogations et même des déconvenues si on leur laisse le loisir d’exister.
Je vous parle des fous rires, des coups de fil à bâtons rompus, des lettres manuscrites, des repas de famille (certains) ou entre amis, des bières au comptoir, des coups de rouge et les petits blancs, du thé au soleil, la sieste à l’ombre, manger des huîtres en bord de mer ou des cerises sur l’arbre, la béatitude des fraîches soirées d’automne, les couchers de soleil, chercher à se remémorer les paroles de chansons d’autrefois, la recherche d’odeurs ou de saveurs, lire en paix son journal, feuilleter des albums photos, mettre un beau couvert, tenir son journal, danser (ah ! danser !), faire le pitre et des imitations, siffloter les mains dans les poches, avoir l’esprit vacant, les moments de silence et de solitude, les longues conversations dans la pénombre, les baisers dans le cou, l’odeur des croissants chauds dans la rue, les clins d’œil de complicité, se sentir leste, s’étonner d’être toujours en vie, vouloir le bonheur autour de soin, se sentir plein d’allant, d’enthousiasme, de passion, avoir des élans du cœur, faire la grasse matinée, observer un artisan, retrouver des amis qu’on a pas vus depuis des lustres, faire un bouquet de fleurs de campagne, caresser, être caressé, embrasser, enlacer, prêter vraiment l’oreilles aux autres, marcher nu-pieds, s’étirer et bailler, allumer des bougies, se tenir par le bras ou par la main, regarder les branches secouées par le vent, faire un feu qui crépite bien, prendre son temps, écouter la vie en soi, jouir de la douceur du temps."
à partir des mots de Françoise Héritier.
(...)
Rédigé à 12h27 | Lien permanent
(...)
Avant de partir pour 5 jours de vacances.
Sous le signe du lien, des mots et de la cheminée.
Laisser résonner les phrases de Jeanne, encore.
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"Ecouter sans frémir. Ne pas se laisser submerger par la barbarie. Ecouter les mots rares, terribles. Ne pas couper les silences. Laisser venir par fragments le récit de l’horreur. Sa conviction totale, que si un être humain peut entendre, alors celle qui parle a une chance de reprendre place dans un monde qui a dévasté et la chair et l’esprit. Parce qu’elle est bien là, la différence entre corps et chair. Les corps peuvent bien retourner à la liberté. La chair, elle, qui la délivre ? Il n’y a que la parole pour ça."
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Il lève la tête vers la forêt. Pour ne rien perdre de l'odeur des arbres, il ferme les yeux, laisse le fracas de l'eau engourdir son ouïe. Alors l'odeur vient. Il respire la forêt. Des bouffées fraîches et épicées à la fois. Les grands arbres sont là. Il sent leur présence muette autour de lui. S'en remettre à leur force. Rien ici n'a changé. Et rien n'a besoin de lui pour être. Il peut être inutile. C'est ça le repos.
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Ce soir, il laisse sa main ouvrir lentement les pages. Il a besoin du silence des mots écrits. L'évidence, elle est là. Il a besoin des mots. Lui qui a rapporté tant d'images qui laissent sans voix il lui faut des mots. Pour tenter de comprendre. Il a besoin de retrouver le sens à sa racine. Il lui faut retourner à l'étymologie pour se guider. Comprendre.
Otages Intimes. Jeanne BENAMEUR.
Rédigé à 17h18 | Lien permanent
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Alors bien sûr, je crois que la poésie, la création peuvent avoir raison du mal.
Parfois je crois aussi que la pensée peut nous y aider également.
Quand Alain Badiou propose de "penser les tueries du 13 novembre", cela m'apaise.
Cela me fait croire que la pensée peut-être au service du bien.
(car il nous est arrivé d'en douter en écoutant le chaos des prêt à penser)
Son texte est remarquable d'intelligence.
Extrait.
"Je vois trois risques principaux auxquels nous exposerait, après ce drame, la domination sans partage du traumatisme et de l’affect.
Le premier, c’est d’autoriser l’État à prendre des mesures inutiles et inacceptables, mesures qui, en réalité, fonctionnent à son propre profit. L’État est brusquement mis sur le devant de la scène et il retrouve momentanément, ou il croit retrouver, une fonction de représentation symbolique, de garant de l’unité de la nation, et autres postures semblables. Ce qui nous permet, j’y reviendrai, de percevoir dans le personnel dirigeant une assez sinistre, mais évidente jouissance de cette situation criminelle. Dans ces conditions, il faut quand même garder une mesure. Il faut rester capable de mesurer dans ce qui est fait, dans ce qui est prononcé, ce qui est inévitable et nécessaire et ce qui est inutile ou inacceptable. C’est la première précaution que je vois, une précaution de mesure au regard du caractère, je le répète encore une fois, inévitable et indispensable de l’affect.
Le deuxième risque de cette domination du sensible, appelons-le comme ça, c’est de renforcer les pulsions identitaires. C’est un mécanisme naturel là aussi. Il est évident que lorsque quelqu’un meurt accidentellement dans une famille, la famille se regroupe, se resserre et, dans un certain sens, se renforce. Ces jours-ci on nous assure, on nous dit, on nous redit, le drapeau tricolore à la main, qu’un horrible massacre sur le territoire français ne peut que renforcer le sentiment national. Comme si le traumatisme renvoyait automatiquement à une identité. D’où que les mots « français » et « France » sont prononcés de toutes parts comme une composante évidente de la situation. Eh bien, il faut poser la question : à quel titre ? Qu’est-ce au juste que la « France » dans cette affaire ? De quoi parle-t-on quand on parle aujourd’hui de la « France » et des « Français » ? En réalité, ce sont là des questions très complexes. Il faut absolument ne pas perdre de vue cette complexité : les mots « France », « français », n’ont aujourd’hui aucune signification particulièrement triviale, particulièrement évidente. En outre, je pense qu’il faut faire l’effort, contre justement cette pulsion identitaire, qui renferme l’événement terrible dans une sorte de faux-semblant, de se souvenir que de tels meurtres de masse effrayants arrivaient et arrivent tous les jours ailleurs. Tous les jours, oui, au Nigeria et au Mali, encore tout récemment, en Irak, au Pakistan, en Syrie… Il est important de se souvenir aussi qu’il y a quelques jours plus de deux cents Russes ont été massacrés dans leur avion saboté, sans que l’émotion, en France, ait été considérable. Peut-être les supposés « Français » identifiaient-ils tous les Russes au méchant Poutine !
Je pense que c’est une des tâches fondamentales de la justice d’élargir toujours, autant qu’elle le peut, l’espace des affects publics, de lutter contre leur restriction identitaire, de se souvenir et de savoir que l’espace du malheur est un espace que nous devons envisager, en définitive, à l’échelle de l’humanité tout entière, et que nous ne devons jamais enfermer dans des déclarations qui le restreignent à l’identité. Sinon, est attesté à travers le malheur lui-même que ce qui compte ce sont les identités. Or l’idée que ce qui compte dans un malheur est seulement l’identité des victimes est une perception périlleuse de l’événement tragique lui-même, parce qu’inévitablement cette idée transforme la justice en vengeance.
Évidemment, la tentation de la vengeance, dans ce genre de crime de masse, est une pulsion qui semble naturelle. La preuve en est que dans nos pays, qui se vantent toujours de leur État de droit et qui rejettent la peine de mort, la police, dans le genre de circonstances que nous connaissons, tue les meurtriers dès qu’elle les trouve, sans, c’est le cas de le dire, sans autre forme de procès, et que personne, semble-t-il, ne s’en formalise. Il faut cependant se rappeler que la vengeance, loin d’être une action juste, ouvre toujours un cycle d’atrocités. Dans les grandes tragédies grecques, il y a bien longtemps, on oppose la logique de la justice à la logique de la vengeance. L’universalité de la justice est à l’opposé des vengeances familiales, provinciales, nationales, identitaires. C’est le sujet fondamental de l’Orestie d’Eschyle. Le ressort identitaire de la tragédie, c’est tout de même le péril de concevoir la recherche des meurtriers comme une pure et simple traque vengeresse : « Nous allons à notre tour tuer ceux qui ont tué. » Peut-être y a-t-il quelque chose d’inévitable dans le désir de tuer ceux qui ont tué. Mais il n’y a certes pas lieu de s’en réjouir, de le clamer ou de le chanter comme une victoire de la pensée, de l’esprit, de la civilisation et de la justice. La vengeance est une donnée primitive, abjecte, et de surcroît dangereuse, c’est ce que déjà les Grecs nous ont appris il y a longtemps.
(...) Je pense qu’il faut rompre avec l’habitude très présente, y compris dans la manière dont les choses sont racontées, présentées, disposées, ou au contraire sont tues, raturées, oui, il faut perdre l’habitude, presque inscrite dans l’inconscient, de penser qu’un mort occidental c’est terrible et que mille morts en Afrique, en Asie ou au Moyen-Orient, voire même en Russie, ça n’est finalement pas grand-chose. Ça, c’est tout de même l’héritage de l’impérialisme colonial, l’héritage de ce qu’on appelle l’Occident, à savoir les pays avancés, civilisés, démocratiques : cette habitude de se voir soi-même comme représentant l’humanité tout entière et la civilisation humaine en tant que telle. C’est le deuxième péril qui nous guette, si nous réagissons sur la seule base de nos affects.
Et puis il y a un troisième péril, qui est de faire exactement ce que les meurtriers désirent, c’est-à-dire obtenir un effet démesuré, occuper la scène interminablement de façon anarchique et violente, et finalement créer dans l’entourage des victimes une passion telle qu’on ne pourra, à terme, plus distinguer entre ceux qui ont initié le crime et ceux qui l’ont subi. Parce que le but de ce type de carnage, de ce type de violence abjecte, c’est de susciter chez les victimes, leurs familles, leurs voisins, leurs compatriotes, une sorte de sujet obscur, je l’appelle comme ça, un sujet obscur à la fois déprimé et vengeur, qui se constitue en raison du caractère de frappe violente et presque inexplicable du crime, mais qui est aussi homogène à la stratégie de ses commanditaires. Cette stratégie anticipe les effets du sujet obscur : la raison va disparaître, y compris la raison politique, l’affect va prendre le dessus et on répandra ainsi partout le couple de la dépression abattue - « je suis hébété », « je suis choqué » - et de l’esprit de vengeance, couple qui va laisser l’État et les vengeurs officiels faire n’importe quoi. Ainsi, conformément aux désirs des criminels, ce sujet obscur se révélera capable à son tour du pire, et devra à terme être reconnu par tous comme symétrique des organisateurs du crime.
Alors, pour parer à ces trois risques, je pense qu’il faut parvenir à penser ce qui est arrivé. Partons d’un principe : rien de ce que font les hommes n’est inintelligible. Dire : « je ne comprends pas », « je ne comprendrai jamais », « je ne peux pas comprendre », c’est toujours une défaite. On ne doit rien laisser dans le registre de l’impensable. C’est la vocation de la pensée, si l’on veut pouvoir, entre autres choses, s’opposer à ce qu’on déclare impensable, que de le penser. Bien entendu, il y a des conduites absolument irrationnelles, criminelles, pathologiques, mais tout cela constitue pour la pensée des objets comme les autres, qui ne laissent pas la pensée dans l’abandon ou dans l’incapacité d’en prendre la mesure. La déclaration de l’impensable c’est toujours une défaite de la pensée, et la défaite de la pensée c’est toujours la victoire précisément des comportements irrationnels, et criminels.
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et un regard acéré sur "le triomphe du capitalisme mondialisé"
Intégralité de la conférence : ici.
Rédigé à 08h11 | Lien permanent
Balises: Badiou, Notre mal vient de plus loin, Penser les tueries du 13 novembre
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"C'est tout son corps qui résonne de ce qui n'a pas eu lieu. Faute de. Il est devenu un labyrinthe plein d'échos. Laisser passer l'air laisser passer la musique ne plus être que ça un pauvre lieu humain traversé.
A l'intérieur de lui des vagues lentes, puissantes, qui soulèvent la poitrine charrient les images. La mémoire est à l'oeuvre. La musique est à l'oeuvre. Ce qui était au fond de lui hissé vers l'air le ciel. Il y a l'enfance il y a le monde. Tout est là.
Il s'est levé. Il lui faudrait l'océan. Un horizon. Pour que les images s'éloignent lentement pour les suivre des yeux jusqu'à perdre de vue.
(...)
Il fallait reprendre son souffle.
Maintenant il ressent une fatigue qui l'enveloppe.
Il laisse son regard errer."
Otages intimes. Jeanne Benameur
Rédigé à 22h13 | Lien permanent