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Il n’y a véritablement de présence que par l’attention active et soutenue que nous portons à la réalité qui nous entoure. Chaque moment de conscience, chaque fragment d’existence recèle une sorte d’absolu. Mais l’habitude nous masque la radicale nouveauté de l’instant pleinement vécu, où l’être se déploie dans tout son éclat, où la vie jaillit d’entre nos mains avec la force et la clarté d’une source sans âge. (…)
Cette attention aux choses, aux êtres pour eux-mêmes, quels qu’ils soient, n’est pas seulement le commencement de la poésie, elle en est le sceau : l’homme qui regarde libère un sentiment grandissant de la vie. L’ordinaire s’embrase à son contact. Il y a en nous, il faut bien le reconnaî- tre, en marge de la frénésie de l’agir, une sorte de paresse spirituelle, une inertie de l’âme, qui végète le plus souvent. Mais le cœur ne peut aimer que parfaitement éveillé.
L’être n’atteint sa plénitude que par l’épanouissement de sa conscience, comme l’éclairage d’un puissant faisceau qui arracherait des bribes de vérité à la nuit de nos demi-sommeils. Chaque moment d’attention, de pleine conscience, se manifeste comme un retour à la source, autrement dit comme un nouveau départ, un nouvel essor. C’est ainsi que nous progresserons, que la vie se développera en nous, en s’enracinant plus profondément et en élargissant son champ de rayonnement.
La poésie n’est pas autre chose que cet état de perpétuel éveil, qui imprime tout son élan à l’émerveillement. En ce sens elle rejoint la prière, pas seulement par la louange, mais par l’ouverture du cœur au mystère qui habite la plus petite parcelle d’être..
Qu’est-ce que la poésie, sinon un surcroît de sens, un regard toujours neuf, une parole qui ne connaît pas l’usure et revient sans cesse sur cette brûlante énigme, ce même étonnement devant le monde que la prière rejoint dans les silences de l’âme ?
S’il n’est pas possible de goûter tous les trésors que recèle un instant, ce que l’on en peut saisir, apprenons au moins à le vivre avec intensité, avec générosité, en ranimant le feu éteint d’une conscience d’être que l’on a oublié de cultiver.
Philippe Mac Leod.