Sur le bureau des tas de livres et toujours me tend les bras celui qu'il me faut.
Ces lettres au jeune poète ne me lassent jamais.
« Nous n’avons aucune raison de nous méfier du monde, car il ne nous est pas contraire. S’il est des frayeurs, ce sont les nôtres : s’il est des abîmes, ce sont nos abîmes ; s’il est des dangers, nous devons nous efforcer de les aimer. Si nous construisons notre vie sur ce principe qu’il nous faut aller toujours au plus difficile, alors tout ce qui nous paraît encore aujourd’hui étranger nous deviendra familier et fidèle. Comment oublier ces mythes antiques que l’on trouve au début de l’histoire de tous les peuples ; les mythes de ces dragons qui, à la minute suprême, se changent en princesses ? Tous les dragons de notre vie sont peut-être des princesses qui attendent de nous voir beaux et courageux. Toutes les choses terrifiantes ne sont peut-être que des choses sans secours, qui attendent que nous les secourions. Aussi, cher Monsieur Kappus, ne devez-vous pas vous effrayer quand une tristesse se lève devant vous, si grande que jamais vous n'en aviez vu de pareille ; si une inquiète agitation, comme la lumière et l'ombre des nuages, parcourt vos mains et tout ce que vous faite. Il vous faut penser alors que quelque chose se passe en vous, que la vie ne vous a pas oublié, qu'elle vous tient dans sa main ; elle ne vous laissera pas tomber. Pourquoi voudriez-vous exclure de votre vie quelque anxiété, quelque douleur, quelque mélancolie que ce soit, puisque vous ignorez quel est le travail que ces états accomplissent en vous ? Puisque vous savez bien que vous êtes au milieu de transitions, et que vous ne souhaitiez rien tant que de vous transformer .»
Rainer Maria Rilke.