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« Ecrire, c’est tenter de savoir ce qu’on écrirait si on écrivait — on ne le sait qu’après — avant, c’est la question la plus dangereuse que l’on puisse se poser. Mais c’est la plus courante aussi. Si on savait quelque chose de ce qu’on va écrire, avant de le faire, avant d’écrire, on n’écrirait jamais. Ce ne serait pas la peine.
L’écrit ca arrive comme le vent, c’est nu, c’est de l’encre, c’est l’écrit et ça passe comme rien d’autre ne passe dans la vie, rien de plus, sauf elle, la vie. »
Marguerite Duras.
(…)
Il y a un peu plus d’un an, lors d’une de nos virées, on découvre une maison.
Passer au dessus du muret de pierres arrondies, éviter clôtures et barbelés. Faire le tour des lieux, pâtures et graminées. Une véranda sur la longueur. La maison est habitée mais pas vraiment. Des objets épars sur une table en plastique, un rosier grimpant pas taillé, une espèce de vieux barbecue rouillée. Un dôme de moulin. Un escalier de lierres pour rejoindre le toit de béton noir, tour de ronde. Une drôle de piscine à l’abandon, ronde elle aussi. Une mare au ponton cassé. Une cabane japonaise tout de bois et bâche grise trouée, le tout entourée d’immenses bambous. Quelques sculptures rouillées, des plâtres sans tête. Deux vieux arbres hirsutes : un tout fou et un majestueux, gardien des lieux. Un large point de vue. Une maison qui surplombe la vallée. Des seaux remplies d’eau. Fuite oblige. En contrebas une forêt. La Loire elle, toute ensablée cherche son lit. A l’époque, c’est l’été, les journées sont longues, nos volontés généreuses.
C’est assez étrange comme endroit. Ce lieu, notre effraction. Notre élan.
Un peu dérangeant.
Pourtant.
De suite, nous nous imaginons vivre là.
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Nous faisons rapidement connaissance avec les voisins. En savoir plus. On est curieux, avide, pressé, passionné.
Dom et Raph nous parlent de la maison et surtout d’Hélène. Nous disent, elle chanteuse, elle amie, elle son énergie. Ils nous disent aussi et tout à trac qu’ils seraient heureux de nous savoir habiter à côté de chez eux, dans ce lieu. C’est spontané et chaleureux. Nous sommes touchés.
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L’histoire que je vais raconter.
C’est l’histoire de cette maison.
L’histoire de notre installation.
Et c’est aussi et surtout l’histoire d’Hélène.
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Tendresses.
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Hier, c’était mercredi. Le 20 février. Fait grand soleil alors nous appelons Hélène. Hélène habite Paris. On ne se connaît pas. On avait pris contact avec elle, cela semblait compliqué, on a laissé passer le temps. Hier, elle nous confirme rapidement qu’elle souhaite nous louer la maison. Elle nous précise qu’on aurait à s’occuper de ses affaires, qu’il faudrait les ranger, les mettre à l’abri. Elle veut s’occuper de rien, on comprend. Faut juste s’arranger sur les termes du contrat.
Elle semble heureuse qu’on puisse vivre dans cette maison. Hélène a un peu plus de 70 ans. Son cancer a récidivé et les traitements sont lourds.
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Aujourd’hui, je rentre dans cette maison pour la première fois en sachant que bientôt c’est ici que nous allons vivre. C’est le début de quelque chose. Un prologue avant la grande boucle.
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Aujourd’hui, je découvre la maison autrement.
J’ouvre quelques placards. Regarde encore les livres de la bibliothèque, emprunte le livre de Patti Smith.
Je souhaite mettre en route la chaudière, suis les instructions, ne trouve pas l’arrivée d’eau. Mets en route l’électricité, ça c’est simple. M’installe finalement dans la véranda pour écrire et écouter le cliquetis d’oiseaux, le son des lieux, le silence.
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Aujourd’hui, le brouillard a mis un temps fou à se lever. J’explore, le dehors surtout, appareil photo en main - pour la première fois -. Le temps est suspendu ici. Deux hivers ont passés sans personne. C’est comme une grosse pierre de lune. Un agrégat de temps. Quelques choses qu’il faut réveiller. La belle endormie. Une zone protégée, un refuge. Dans la maison, le calme. Un autre cliquetis réguliers, celui d’une petite horloge bleue posée sur un meuble de rotin clair. Trois grosses piles probablement usagées trainent sur la table de jardin. Une paire de lunettes sur un mot croisé. Les mots - êtres, gin, don, épaves – ont été trouvé. Peut être faut il la terminer cette grill. Tout partout, de vieilles lampes, des prises, du macramé, un batteur électrique orange des années 60. Dans la salle de bain, salle des miroirs, deux meubles à pharmacie en formica se déplient comme des accordéons. Des tas de produits d’entretien, probablement périmés. Des coussins, des fauteuils, un poêle à bois, une grande cheminée et un baromètre qui annonce beau, c’est vrai que la vie a un air de printemps ces derniers jours. Quelques cerisiers sont en fleur, ça leur va bien.
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J’appelle notre ami-voisin, Raph. On descend tout en bas du terrain ouvrir l’eau. Un robinet extérieur libère une grande salve, un geyser. C’est Manon des sources. Hugolin du jour.
La chaudière est lancée. Mais ça clignote rouge. Pour la chaleur, on attendra.
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« Faire œuvre d’histoire ne signifie pas savoir comment les choses se sont réellement passés. Cela signifie s’emparer d’un souvenir, tel qu’il surgit à l’instant du danger ». Walter Benjamin.