...
Monsieur le Président de la République
Palais de l'Elysée
55 rue du Faubourg Saint-Honoré
75008 Paris
Dunkerque le 18 Janvier 2022
Monsieur le président,
Vous écrire, parce que ce soir, j’ai la boule au ventre et la rage au cœur. Et ça empêche mes larmes. Bien sûr, je suis un pas-content de plus et qui va vous brandir sa tartine de bons sentiments. Je vous explique.
Elle s’appelle Nila.
Elle a neuf ans.
Elle est iranienne.
Dans son pays, elle et sa famille sont menacées de mort : on ne change pas de religion dans une dictature.
Elle vient d’arriver ce soir à Grande-Synthe au camp de réfugiés.
Nila est arrivée avec son père et son frère. Ils ont parcouru un peu plus de 5200 km. Sa mère a été arrêtée en Turquie, et mise à l’abri par des sympathisants. Elle est mannequin. Et dans son pays, ça aussi c’est illégal.
Ce soir, Nila a pu parler par téléphone à sa maman. C’était incroyable : Nila plusieurs fois a ri. Sa maman doit être très forte. A moins que ce soit Nila qui ménage sa maman d’un trop chagrin.
Nous sommes à la fin du jour, dans un camp du nord de la France. Le gel commence à tailler les peaux. Et rien pour eux, pour la nuit.
Mais très vite, ça se mobilise : en moins d’une heure, palettes, tente et bâches sont installées. Pour cette nuit, ils seront à l’abri. Nila dit en regardant le remue-ménage : “they are like angels”. Un militant rage pourtant : “Putain, l’année prochaine, je fais un stock de matelas parce que franchement, ça me fait trop chier pour eux” : oui, monsieur le président, vous n’êtes pas le seul à utiliser des gros mots.
Dans quelques nuits, pendant des heures, Nila sera entassée avec d’autres sur un canot, au milieu de la mer.
Et allez je vous dis ce que vous savez déjà : cette petite fille risque de mourir noyée.
Répétons-le : cette petite fille risque de mourir noyée.
Parce que la France ne légalise pas tous les réfugiés, même menacés, contrairement à l’Angleterre.
Parce qu’il n’y a aucune voie légale pour traverser.
Parce que vous n’ouvrez pas le débat.
Parce qu’au contraire, vous renforcez les mesures sécuritaires qui créent davantage de danger.
Cette petite fille va tenter la traversée de la mer du Nord et risque de mourir noyée.
Alors on fait quoi Monsieur le Président ?
On s’en prend aux passeurs ? On s’en prend à l’Angleterre ?
C’est un enjeu politique et majeur, je le sais bien. Mais Nila a neuf ans et elle s’en fout de vos histoires de grands, de vos histoires politiques.
Nila, si elle meurt, c’est un peu vous, je dois vous le dire fort, qui serez responsable.
Crime, crime d’Etat. Et vous êtes bien le chef de notre Etat.
Alors je vous demande juste avant de vous endormir chaque soir,
de regarder les yeux magnifiques et le sourire de Nila.
...
Copie de la lettre envoyée ce jour.