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"Les catastrophes du monde sont d’autant plus exterminatrices qu’elles sont isolées, non connues, non durables dans le souvenir des peuples.
Les mémoires vivantes des collectivités humaines, qui souvent s’opposent, se renforceraient à se rapprocher, dans le champ éclaté du Tout-monde.
Il en est ainsi pour les mémoires des esclavages, quand elles sont ravivées par les descendants des esclaves : non seulement réveiller et préserver ce qui a été occulté ou obscurci de ces histoires, mais aussi préparer ce qui réunira et défendra les humanités, sur ces mêmes Plantations renouvelées.
Commémorer l’abolition de ces esclavages : ouvrir sur le monde, les servi-tudes modernes, les oppressions clandestines ou spectaculaires.
Commémorer l’abolition de ces esclavages : contribuer aux imaginaires des peuples du monde, des peuples dans le monde, qui déjà proposent une nou-velle conception de ce monde, par où on voit que les colonisations, les es-clavages, les famines, les immigrations ont les mêmes causes, qui ne sont pas de mécanicité économique, mais d’une férocité d’exploitation sans pareille.
Commémorer l’abolition de ces esclavages : constater que l’Europe organise l’exploitation des pays africains (agriculture, pêche, produits naturels) et la répression sans délai ni merci des immigrations qui en sont la conséquence."
Edouard GLISSANT. Les mémoires de la faim.
Cité par Sophie Djigo. Aux frontières de la démocratie.
De Calais à Londres, sur les traces des migrants.