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Il est 19H00. La nuit déjà.
Devant l'hôtel de ville de Paris, une vingtaine de familles sont assises au sol, qui appuyée contre un murée, qui debout à attendre.
Les enfants jouent, courent ici et là.
Pour la plupart de ces familles, c'est la nuit dehors qui les attend.
Je marche auprès d'elles.
Je discute avec plusieurs, je prends le temps.
Ces familles viennent chercher un repas chaud distribué par Utopia 56.
Elles sont exilés, réfugiés, en attente de régularisation, ou irrégulières.
Elles viennent de Côte d'Ivoire, de Somalie, d'Érythrée.
Elles viennent d'arriver en France, à Paris ou sont là depuis quelques années.
Ici il y a peu mais ce peu est beaucoup.
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"La capitale de mon pays est inondée de soleil, mais au sol, il fait nuit.
Les ombres des grands adolescents détruits hantent les rues
Et des milliers de minuscules pieds nus s’agitent pour leur échapper.
Papa que je n’ai pas, dis-moi…
Dans quels quartiers se cachent les hommes qui protègent leurs petits ?
Où sont les rayons de lumière que je croyais à jamais enfouis
Dans les cœurs des garçons devenus grands ?
La capitale de mon pays regorge d’enfants sorciers.
Leur chair parsemée de trous et de plaies laisse entrevoir
Les images de ceux qu’ils sont supposés avoir empoisonné.
Maman que je n’ai pas, dis-moi…
Dans quelles avenues rencontre-t-on les femmes qui n'accusent pas leurs chérubins ?
Où sont les mots de réconfort que je croyais à jamais écrits
Sur les lèvres des fillettes devenues grandes ?
La capitale de mon pays regorge aussi d’enfants soldats.
Leurs bras sont convertis en mitraillettes
Et leurs yeux en billes de plomb.
Grand frère que je n’ai pas, dis-moi…
Dans quelles rues se dissimulent les parents qui n’envoient pas leurs fils au front ?
Où sont les sourires de paix que je croyais à jamais inscrits
Sur les visages des enfants devenus grands ?
La capitale de mon pays regorge aussi de magasins riches.
Pourtant, chaque jour, des milliers de petits doigts fins
S’agitent pour un seul et même bout de pain.
Petite sœur que je n’ai pas, dis-moi…
Dans quels souterrains trouve-t-on les mamans qui allaitent leurs poupons ?
Où sont les bonbons de miel que je croyais à jamais cachés
Dans les poches des garnements devenus grands ?
La capitale de mon pays regorge aussi d’immeubles très hauts.
La pluie qui ruisselle sur les toits des cages de béton
épargne des centaines de chiens, de chats, et parfois même de jolis rats.
Grand-mère que je n’ai pas, dis-moi…
Dans quels ascenseurs des parents câlinent-ils autant les nourrissons que les chatons ?
À quel étage se trouve la niche de coton
Où j’aimerais tant dormir une fois, avant de devenir trop grand ?
La capitale de mon pays fourmille aussi d’enfants vivants.
Des gamins charmants, qui veulent rire, chanter, jouer,
Et ne pas souffrir, ni mourir dans l’indifférence.
Grand-père que je n’ai pas, dis-moi…
Quels pavés faudra-t-il faire valser
Pour que le monde entier entende les cris de leur silence ?
Grand-père que je n’ai pas, dis-moi tout simplement…
Où sont mes parents ?
Que font donc les enfants, quand ils deviennent grands ?"
Maryvette BALCOU, novembre 2005
(...)
Tout événement est amour. En cela dangereux, imprévisible, incontrôlable, asocial.
L'avant/après crée par cette rupture est traumatique plus qu'une expérience, sujet dissous comme brûlé, pas de grande dramaturgie; juste une dissidence. Quelque chose qui ne se referme pas. Il y a de la ferveur. De l'inquiétude.
L'événement est repris par la mémoire, retourne dans le flot de l'histoire.
Mais le point d'impact en nous demeure, irrésolution imaginaire.
Seuils non refermés.
Ce nom là de l'amour.