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« Je vais avoir vingt-deux ans demain »
C’est ça que tu me glisses à l’oreille, un peu gênée au moment où je te laisse au bord de la nuit. Nawa, as-tu seulement trouvé un endroit au chaud pour dormir ?
Au chaud avec ta petite fille, Arachi et ton mari, Rubanice.
Et puis avec ton petit garçon, « c’est lui qui me donne tout le courage dont j’ai besoin » me dis-tu en touchant ton ventre.
Lui, il va venir au monde dans un mois environ.
Nawa, je te rencontre sur la place de l’Hôtel de ville à Paris. C’est là, où très souvent le soir, tu te retrouves avec des centaines de réfugiés, pour venir quémander une place pour la nuit.
Des heures d’attente, la pluie, le froid. Médecins sans frontières fait quelques rondes, et les bénévoles valeureux d’Utopia 56.
Nawa, tu as presque vingt deux ans. Et voilà déjà deux ans que tu as quitté ton pays, la Côte d’Ivoire. L’exil pour sauver ton amour.
C’est que Rubanice n’est pas de la même ethnie que la tienne. Ton père refuse votre couple. Et il menace de mort à plusieurs reprises l’homme que tu aimes. Te pourchasse, soutenu par tes frères.
L’exil pour sauver ton amour et ce bébé à venir.
Un billet d’avion direction la Tunisie. Vous y restez quelques semaines, mais le racisme se fait sentir. L’Europe vous appelle. Vous savez combien c’est dur. Mais vous n’avez nul part où aller. Il vous faut traverser la Méditerranée. « J’ai encore des images terribles dans les yeux, des corps qui flottent autour du bateau ». J’y pense presque tous les jours.
Puis c’est l’Italie pendant quelques semaines, et après une longue marche, la France.
La demande de réfugiés, la naissance de ta petite à Paris. « A la maternité Bichat, on s’est bien occupé de nous ».
Depuis c’est beaucoup d’attente, des foyers, des maisons de jours, parfois la nuit dehors.
« Mon mari ne peut pas travailler à cause des papiers qu’il n’a pas et puis il doit s’occuper de la petite car je suis parfois fort fatigué. Mais j’ai bon espoir, chaque jour j’espère que les choses vont s’arranger, qu’on va nous accorder un titre de séjour, même temporaire »
Il est 21 H00 et l’équipe d’Utopia m’invite à les accompagner à Ivry. Je dois te laisser.
La file d’attente est longue encore, les chances de trouver un logement s’amenuise.
Tu prépares un biberon, assise sur les marches.
Tu me dis avant que je m’en aille que tu espères revoir bientôt ta maman.
Que parfois tu l’appelles. Mais que tu ne lui dis pas tout.
A moi, c’est vrai tu as dit beaucoup. Je t’ai proposé de m’appeler à la naissance de ton garçon.
Tu me fais signe de la main. Je m’éloigne.
Te regarde une dernière fois, la petite sur les genoux.