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une histoire de sel et de tempête, de bourrasque et de soleil, de lune et de nuit noire ; une histoire où les joies sont éclatantes et les blessures secrètes ont, avec les embruns, scupté notre visage offert à tous les vents.
Nous avions un peu oublié les îles, les criques et le sable fin de nos moments de paix et de tendresse ; nous avions salutairement jeté par dessus bord nos instants de colère et d'aveuglements imbéciles ; nous avions parfois tout bonnement, par lassitude, laissé nos vies vivre leur vie, sans nous, renonçant à tenir ferme le gouvernail, emportés que nous étions alors, au gré des courants.
Sur le quai du jour, prendre un peu de hauteur (?) pour relire et relier les étapes éparses des derniers moments à vivre, savoir nouer le tout dans un beau bouquet, le hisser fiérement au grand mat de nos vies
Oh, bien sûr, il y eut, au long cours de ces mois de grande traversée, des moments de dérive et des vagues traitresses, mais tant d'aubes aussi à nous couper le souffle, tant d'étoiles parfois la nuit et de soleil au jour
La vie, comme la mer, comme le ciel, est affaire de regard : c'est au navigateur, malgré nuits et tempêtes, de dévbusquer le fanal du phare et la côte des terres. Et de savoir aussi deviner, en dépit du gros temps, la main mystèrieuse et secourable qui le porte au bon port.Une histoire de
Rédigé à 12h28 | Lien permanent
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Ce jour là, trois exilés repartent,
qui vers une autre ville, qui vers un autre pays.
Un autre jour, d'autres partiront.
Ils ont fait halte, un jour ou deux, ou quelques semaines au refuge dans cette zone frontière
entre la France et l'Italie.
Leur exil se poursuit.
Bientôt ils vont se poser, s'installer, s'intègrer dans une communauté.
Demande d'asile, statut de réfugiés...la route est encore longue et probablement rude.
Encore.
Pourtant tel un mirage
je sais que pour eux aussi, un jour
le printemps viendra.
Il y a désormais pour moi, bien des liens, des images, des histoires
Nous ne sommes plus probablement tout à fait les mêmes
Debout sur ce quai
Il y a désormais...
Rédigé à 14h56 | Lien permanent
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Elle s’appelle Ninon, elle vit à Bruxelles mais elle est surtout sur la route. Parce qu’elle dessine. Elle dessine, découpe, crée, invente.
Mais ce qu’elle fait surtout en vrai, c’est qu’elle fait dessiner, qu’elle permet que ça dessine, que ça raconte.
Et depuis deux ans, elle fait ça « In situ » ici et là : Briançon, Marseille, etc.
C’est qu’après avoir mener des ateliers avec « des enfants de riches » à Bruxelles, elle découvre combien pour des jeunes exilés, des « sans papiers », le dessin permet une expression « existentielle », et ça, - je crois comprendre - : ça la bouleverse. Riche de cette « révélation », elle se lance de plein pied dans l’expérience et décide en parallèle de mener une recherche à ce propos (un mémoire de master de sociologie) en proposant à des lieux alternatifs oeuvrant au service des exilés, ces ateliers.
Et si les exilés ont souvent besoin de raconter leur voyage, leur exil, Ninon elle, leur offre de poser avec dessins, mots, coupages-collages, d’autres choses encore.
L’hospitalité, les émotions du moment, ce qui les protège…
Comment par le dessin, construire un lieu, un nouveau lieu et l’habiter pour se sentir à nouveau exister.
Moi quand je passe par là, dans la grande salle du refuge à la frontière franco-italienne,
ce que je vois surtout c’est pas Ninon, c’est eux. Des exilés et des militants.
Eux concentrés, eux partageant. Eux penchés sur leurs productions, des crayons tout autour.
Eux qui tchatchent, eux taiseux. Eux exilés, eux militants. Et ça fait comme une respiration : inspirer je me concentre, expirer je vous montre. Alors dans la grande salle un peu froide, c’est comme l’oeuvre d’un poumon, d’un coeur névralgique. Les formes que cela peut revêtir, elles sont diverses. « Dessiner est si simple mais va tellement chercher à la racine ».
Alors toutes ces créations, on le sent bien, participent à générer un élan vital, quelque chose qui relie, à soi, à l’autre, etc. Une manière de se comprendre, de se donner à voir.
Moi aussi, j’ai essayé un peu. Carte du monde déplié où j’ai imaginé me promener encore.
A la fin de la séance, chacun repart avec sa production photographiée. Et ces dessins sont comme des opalines-souvenirs : combien de vies a t-on vécu ? Et combien d’histoires inconnus, de rêves encore à accomplir ? Des sèves, des épidermes, l’ombre suintante, ou l’horizon du désir.
Dans nos dessins, il y a toujours un peu de ce monde vibrant, là.
Rédigé à 11h34 | Lien permanent
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Une affiche à l'accueil du refuge solidaire à la frontière franco-italienne.
Un homme originaire d'Iran, quelques échanges rapides le jour de son arrivée.
Je n'ai pas osé lui demander s'il acceptait la photographie.
Il me reste ses mots.
"La bas, un psychiatre s'occupait de moi. Un jour, ils sont venus et ont pris tous ses dossiers et les notes qu'il prenait sur chaque patient. Alors ils ont su. Il ne me restait plus qu'à partir."
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Et l'envie de voir ce film documentaire, ce soir.
Et la Turquie.
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« Depuis ma naissance, je porte un masque, mais je veux montrer mon vrai visage. Sinon je serai désespéré à jamais. »
Husein, réfugié syrien à Istanbul, tente sa chance au concours Mr Gay Syria, en 2016.
Comme ses compagnons d’infortune, Omar et Wessam, le jeune homme de 24 ans espère s’envoler pour l’élection de Mr Gay World à Malte, puis demander l’asile dans un autre pays européen. La réalisatrice turque Ayse Toprak filme l’organisation de la modeste compétition stambouliote, les castings, la préparation des candidats.
À l’origine de ce surprenant événement, Mahmoud Hassino, lui-même réfugié syrien et activiste LGBT vivant à Berlin, veut « changer la perception » des exilés queers de son pays et « susciter l’intérêt du public » pour leur condition dramatique. En Turquie, les trois amis se sentent coincés, sans horizon, dans un climat toujours plus hostile aux personnes homosexuelles et trans.
Couronné Mr Gay Syria, Husein témoigne de sa situation intenable. Né dans une petite ville syrienne, il a fui la guerre deux ans auparavant aux côtés de sa famille ultra conservatrice, à qui il n’a jamais pu parler de son homosexualité. Il a été contraint de se marier et est père d’une petite fille. « Le désespoir mène au courage », explique-t-il, tiraillé entre la fierté de représenter sa communauté et la peur que son père ne découvre la vérité. Mû, malgré le danger, par la volonté d’offrir à son enfant un avenir meilleur en Europe. Un visa pour la liberté recèle une galerie de portraits bouleversants d’hommes en lutte, qui partagent leurs découragements, leur grande solitude, mais aussi et surtout leur force lumineuse.
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Refuge Solidaire frontière franco-italienne.
Jour 1. Je me souviens.
Chaque matin, dans la grande salle du réfectoire,
Soheila coiffe publiquement son mari Hamed.
Ils viennent d'Iran.
(...)
Il y a des manières multiples de dire :
« Je coupe ces cordes que vous avez faites de mes cheveux pour m’enchaîner, me soumettre à votre volonté et me priver de liberté. »
Rédigé à 18h02 | Lien permanent
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Refuge solidaire frontière franco-italienne. Jour 6.
Le terrain désordonné de la vie qui renaît.
Une partie de carte, une partie de fou rire, reprendre la main.
Merci à Bérénice et Juliette d'avoir lancé ce mouvement en cet fin d'après-midi.
Merci aussi à Anne Claire Defossez, en mode jeu dont j'admire par ailleurs la posture d'accompagnement à l'accueil du refuge.
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D'autres photos : click sur la photo ci dessous :
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Rédigé à 14h21 | Lien permanent
"Je m'appelle Afhin Gholami. Je viens d'Iran, d'une ville dans la province de Kermansha.
Je suis journaliste et je pourrais ne pas être là.
On m'a déclaré disparu. A cette heure, j'aurai pu être en prison ou condamné à mort.
Mes prises de position dans le journal que je dirige, mon engagement m'ont exposé car actuellement la répression est massive.
Ce sont surtout les femmes qui sont admirables, avec leur force pour mener leur vie comme elles veulent, même s'il faut braver les interdits.
En novembre dernier, ma famille a été menacée, mes parents mise en joue par des armes.
Le lendemain, tu reçois un appel et tu sais qu'il faut partir.
Nous avons quitté l'Iran avec mon épouse en novembre dernier, elle est aussi mon interprète"
Sauvés dans la nuit en montagne à la frontière franco-italienne, par l'équipe de maraudeurs, Afhin et son épouse, restent quelques jours au refuge.
Je vois combien elle veille sur lui, veille à respecter sa parole malgré les barrières de la langue.
Ils vont demander l'asile dans un pays d'Europe, continuer à oeuvrer à distance pour entraider, soutenir le peuple iranien.
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"Il ne suffit pas de désobéir. Il est urgent, aussi, que la désobéissance - le refus, l'appel à l'insoumission - se transmette à autrui dans l'espace public. Se soulever ? D'abord soulever sa peur, sans doute. La jeter loin. Voire la jeter directement à la face de celui ou de ceux qui tirent pouvoir d'organiser nos peurs. La jeter au loin mais aussi, faire circuler ce geste là et lui donner par là, un sens politique"
Désirer, désobéir. Ce qui nous soulève. Georges Didi-Huberman.
Rédigé à 12h54 | Lien permanent
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Refuge solidaire.
Frontière Franco-Italienne
Jour 6.
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Ma présence avec les uns les autres.
Ma présence dans les lieux comme ordinaire,
ici le vestiaire solidaire.
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Parfois je me persuade que seul le mode narratif peut nous permettre de comprendre et peut même influencer notre sensibilité morale.
Alors je fais des photographies minuscules, des photographies qui mélangent, sous les ailes du corbeau, du safran, du velours et des encres noires, des photographies faites main, pour que les yeux qui les voient, sortent de leur pacte borné.
Oui, car ici quelque chose importe.
" C'est parce qu'avec le vivant émergent des êtres pour qui quelque chose importe qu'il y a des raisons de commencer notre action de soin et de défense"
(Baptiste Morizot)
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Et comme il y avait bien trop de silence, j'ai demandé à Ludovico de nous jouer un air de piano :
Rédigé à 11h51 | Lien permanent
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C'est un lieu refuge, un refuge solidaire.
Dans la zone frontière, France-Italie.
C'est un lieu où Bachir, comme tant d'autres, est venu, le temps de quelques jours, se poser après sa traversée en montagne.
Depuis qu'il est arrivé, Bachir marche dans Briançon. Un soir je le croise, dos vouté. "Je rentre, je demande du travail dans les restaurants mon ami"
Bachir a vécu pendant tout un temps en Italie avant de sentir qu'il ne pouvait plus y rester. Bachir cuisine beaucoup et dans ces moments là, on sent tout le feu de la vie en lui. Il est reparti hier, en stop car il n'a plus d'argent, confiant pourtant. Tard hier quand il m'appelle de Grenoble, il me dit que le 115 n'a pas de place pour lui. Avec M. nous activons les réseaux militants pour qu'il puisse l'aider.
Sa nouvelle vie d'exilé, résister à nouveau.
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"Si le monde vivant était avant tout une cathédrale, la guerre serait perdue.
Si le vivant est un feu, le problème se pose autrement : il est à notre mesure, pour peu que l'on se donne les leviers de la conscience et de la mobilisation.
Le problème devient désormais :
avant tout, comment protéger les braises ?
Défendre les braises du vivant partout autour de nous
C'est notre combat.
L'enjeu est de maintenir et recréer les conditions pour que ces braises reprennent..."
Baptiste Morizot.
Rédigé à 11h11 | Lien permanent
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Nous sommes le 12 janvier 2023. Fazal vient de passer la frontière franco-italienne et vient d'arriver au refuge solidaire de Briançon.
Secouru en montagne pendant la nuit, il vient me voir et m'explique qu'il ne souhaite pas être pris en photo mais qu'il a besoin de me raconter son histoire.
Traqué par les talibans, il a fui l'Afghanistan (افغانستان) début septembre.
Il marche seul sans arrêt jour après jour, traverse les montagnes kurdes, franchit des cols, des montagnes, échappe aux policiers plusieurs fois, traverse des rivières, dort dehors, sous un pont, un arbre, dans une grange, chez des habitants solidaires, éprouve son corps, la peau comme une frontière, repousse les limites, traverse l'Iran, se cache, repart, la brulure du froid, arrive à Istanbul, aux portes de la forteresse de l'Europe, course funambule pour ne pas déranger le silence, le corps des heures, les habits mouillés, les veines saillantes, la carte qui se délite, le portable à recharger pour ne pas perdre le fil, le répit, les branches, l'obscurité (...) ...
(...)
" La migration est une plongée en apnée, une traversée périlleuse sans respirer. Chez les plongeurs, le rythme cardiaque ralentit pour préserver l'afflux de sang vers les organes essentiels ; les personnes en migration mettent une partie d'elle mêmes en sommeil. Ainsi, une carapace se forme sur laquelle tout semble rebondir. Et seul le mouvement perpétuel d'un pays à l'autre garantit leur survie (...) Cédric Herrou. Change ton monde.
Rédigé à 13h43 | Lien permanent
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Ce qu'offre le refuge à Briançon, c'est ça déjà,
une hospitalité.
La nuit souvent, à leur arrivée,
leur est offert, logis, couvert.
Ils arrivent seul parfois, en groupe souvent,
et certaines nuits, arrivent quelques exilés, ou plus nombreux.
Hommes, femmes, enfants, famille.
Et ce lieu dans la frontière cesse d'être un rempart de protection contre l'étranger
pour devenir un espace de protection pour l'étranger.
Au petit matin, les yeux sont un peu défaits, sous un épais feuillage de couverture
Pliure et pli, la lumière est calme dans le réfectoire
Désordre des premiers gestes
Se déplier, petit déjeuner, s'installer dans une chambre
Découvrir un espace inconnu
C'est une chose simple à dire :
Etre à l'abri.
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Question à Michel Agier.
Juliette Bénabent
Publié le 08/10/18
Quelle définition proposez-vous de l’hospitalité ?
Le penseur Tzvetan Todorov disait qu’à la différence des arbres les hommes n’ont pas de racines mais des jambes.
Notre mobilité est notre nature, et puisque les hommes circulent, une fluidité organisée est nécessaire pour éviter les conflits.
L’hospitalité est une forme sociale qui a pour fonction la médiation entre moi et l’autre, et, plus largement, entre la structure en place et les gens qui arrivent.
Elle est ce geste qui dit à l’autre : tu n’es pas mon ennemi, qui fait de l’étranger un hôte dans une relation d’accueil et non un ennemi dans une relation guerrière.
Chaque société établit des codes pour dire ses conditions : là il y a une chambre pour celui qui passe, ici l’étranger peut rester trois jours, ici dix ou douze, parfois on attend de lui un travail ou une participation à la vie collective…
Ces règles ont pour fonction d’éviter le chaos qui advient si chacun regarde l’autre comme un ennemi. C’est le sens du Projet de paix perpétuelle d’Emmanuel Kant (1795), qui n’est pas du tout un texte utopique mais au contraire un essai de diplomatie très pragmatique : si on veut la paix, l’hospitalité est indispensable. Kant n’était pas un moraliste, mais plutôt une sorte de géopoliticien du XVIIIe siècle.
Vous admettez que ce geste d’hospitalité est toujours une épreuve et l’hospitalité, une relation asymétrique et provisoire…
Bien sûr, c’est une épreuve. Oui, l’étranger qui arrive est un intrus, puisqu’il n’était pas là auparavant. Ce n’est pas un jugement de valeur, c’est un fait ! Et, oui, c’est difficile d’accueillir chez soi une personne différente, dans son apparence parfois, dans son langage, sa culture, ses habitudes.
La relation est forcément asymétrique : l’accueillant et l’accueilli ne peuvent pas être égaux au même moment puisque l’un donne une faveur que l’autre reçoit.
Chez les migrants et commerçants haoussas d’Afrique de l’Ouest, installés notamment à Lomé, au Togo, les mots expriment cette asymétrie : le yaro (qui signifie aussi enfant) désigne celui que l’on accueille et protège ; le maigida est le chef de maison qui le prend en charge. Entre eux se noue une relation appelée zumunci, que l’on traduirait par « quasi-parenté ».
Elle est provisoire, comme toute relation d’hospitalité : elle prend fin soit au départ de l’étranger, soit parce qu’il est inclus, sous une forme ou une autre, dans le groupe qui l’a accueilli (souvent par un mariage organisé par le maigida).
(...)
Que serait un monde sans hospitalité ?
Si on considère, comme je le défends, qu’elle est une forme sociale indispensable pour mettre du lien, du mouvement et de la flexibilité dans des structures sociales stables et établies, alors on ne peut pas vivre sans hospitalité. C’est elle qui permet d’établir la relation à l’autre, or cette relation est vitale. L’hospitalité change de forme, elle prend le visage de tous ceux, partout, qui réorganisent leur vie, leur temps, leur espace domestique pour faire place à l’étranger. Elle se transforme, elle traverse une mutation sévère, mais je crois, je suis certain qu’elle survivra.
Rédigé à 12h45 | Lien permanent
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"Depuis 2016, les cols du Briançonnais sont des nouveaux lieux de passage sur les routes migratoires.
Tous les jours, des femmes, des hommes et des enfants tentent de rejoindre la France dans l'espoir d'une vie meilleure.
Afin de leur porter secours, des bénévoles français patrouillent nuit et jour malgré la pression policière.
Depuis des mois, la police opère des traques dans la montagne et il arrive qu'elle refoule des exilés à la frontière, sur ordre de l'Etat.
Cette chasse à l'homme contraint les exilés à prendre toujours plus de risques. (...)
Aider ces personnes n'est pas un délit, c'est au contraire un devoir.
Chacun peut faire sa part.
Soyons solidaires, soyons tous maraudeurs"
https://tousmigrants.weebly.com/le-contexte-brianccedilonnais.html
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Sarah Leonor fait le choix du tramage, loin surement de l'urgence politique et de la violence des engelures, des détresses du matin, des peurs à vif, de l'engagement des maraudeurs. Mais elle livre, par son film, une autre forme encore de témoignage, de réflexion sur le devenir, la présence sur un territoire d'un lieu de passage.
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"Quels récits ont façonné les chemins du col de Montgenèvre et de la vallée de la Durance ? Le passage de la voie romaine, les troupeaux qui rejoignent leurs pâturages, les migrants venus d’Italie, Hannibal et ses éléphants peut-être. Le paysage se façonne et s’écrit par ceux qui sont passés là, tous ceux qui le traversent inscrivent leur passage. Peut-être que les personnes en exil se sont servi des chemins escarpés empruntés par les troupeaux, peut-être est-ce l’inverse. Quelles sont les histoires nouvelles de la vallée ? Aujourd’hui des personnes exilées cherchent la route pour Briançon en évitant les barrages de flics. La nuit, des hommes et des femmes viennent éclairer et baliser les sentiers pour les aider. Autrefois on jouait du cor pour signaler les chemins aux égarés. Sarah Leonor regroupe et recoupe les histoires, des histoires de versants, des histoires opposées, des histoires croisées. Des voix récitent les témoignages des personnes habitant la vallée et recouvrent les paysages abrupts. Ceux du jour ont des histoires plus gaies que ceux de la nuit. C’est que les frontières se passent de nuit, et que la frontière existe pour certains et plus vraiment pour d’autres. Mais sur les chemins, les histoires et les destins se croisent. Et ceux du jour trouvent parfois les corps de ceux de la nuit en haut des pistes de ski ou sur leurs routes. Par éclats, la montagne livre son récit. Le film de Sarah Leonor est un travail de lecture : lire le paysage pour qu’il nous laisse voir ceux qu’on ne voit pas, les vies obscures, non désirables, égarées, qui se cachent mais qui laissent leurs traces."
(Clémence Arrivé - Cinéma du réel)
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Rédigé à 12h54 | Lien permanent
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Qui dit refuge, dit protection mais dit aussi départ.
Comme pris dans un seul et unique mouvement.
Et il y a, des départs plus compliqués.
Décider vers où partir, à qui confier à nouveau un morceau de sa vie.
Perplexité des moments où on doit, comme par avance, dessiner un territoire nouveau, mais dans l’inconnu.
Traverser la frontière n’est pas tout. Ensuite il faut imaginer l’avenir.
Comment penser un nouveau « chez soi » dans des paysages si inhabituels ?
Ils ont traversé la Libye, la Méditerranée, pour d’autres, ont marché longtemps le long des contreforts des Balkans.
Aujourd’hui on leur demande de trouver d'inventer un nouvel ancrage, de répondre à une proposition dont les contours semblent flous.
De la partance, à la traversée, à l’installation, tout va bien trop vite parfois.
Rédigé à 07h29 | Lien permanent
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Vivre en refuge, c’est comme vivre dans la vie.
Entre les crêtes, des points de suspension. Des moments en suspension. Des cimes. Au refuge solidaire, bénévoles engagés et exilés prennent le temps d’habiter chaque moment, de souffler le chaud, le froid. Et dans ces interstices, je sais qu’il ne se dit pas que des bêtises.
Rédigé à 07h11 | Lien permanent
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Refuge Briançon. JOUR 4.
Elle me raconte.
"On est parti d'Iran, il y a 4 mois. C'était dur.
Là bas, tu sais, on ne fait pas ce qu'on veut. Tu comprends ça ?
C'est de plus en plus compliqué. Pour moi ça va encore, je fais, (je faisais) des jolies choses sur les ongles.
Mon mari, lui revendait des voitures mais il cultivait aussi de bons légumes
Mais ma fille, est ce qu'elle va pouvoir faire ça, faire des choses belles pour nous les femmes,
ou vivre tout simplement, chanter, courir ?
Je voulais pas qu'elle vive comme un logiciel programmé par un ordinateur central.
Alors j'en parle à un ami et il me dit, je vais vous aider.
Partons !"
Ils sont arrivés avant hier au refuge, après avoir passé la frontière italienne dans la nuit,
par la montagne, froid blizzard et pas mal de peur.
Ils viennent déjà de repartir.
Entre temps, au refuge des sourires, des paroles comme des perles de chapelet,
des empoignades (anti coup de poignard), une forme d'amitié naissante
le sentiment du soutien, de l'envol à nouveau possible.
Oui, ici "le vent balance // tout doucement // le grand possible // d'un instant // dans les rémiges // du silence." (Thomas Vinau)
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Rédigé à 11h47 | Lien permanent
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à la lingerie du refuge, la vie brasse bruisse, la vie comme une chose pas triste.
cinq qu'ils sont, moi je croyais cinquante
tintamarre joyeux pour déployer plus vite, les monticules de linge, vas-y que ça s'accumule.
y a des machines à générer de la bonne humeur, la musique, chant danse partout tout le temps
on y va.
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Rédigé à 11h20 | Lien permanent
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Ils sont arrivés voilà quelques jours en France par la montagne mais déjà après un peu de répit, ils décident de se remettre en route.
Au matin, changer la carte SIM pour être "connecté" à leur nouveau "pays de passage", avancer avec ce qu'il faut de précision et de sérieux.
Au matin, les billets de train, précieux.
Ils me parlent de leur peur, de ne pas plier, de rester droit, de faire face.
Mais déjà la journée passe
Et le soir, ensemble, y aller.
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Rédigé à 10h25 | Lien permanent
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Au matin, le refuge, le passage de la montagne, le blizzard, la fatigue, le soulagement.
Nous ne vivons pas une expérience commune et pourtant les mots viennent nous relier.
Très vite, elle raconte. Ce qu'elle éprouve, ce qui l'a, le temps des 2500 km, éprouvée.
Son désir de créer un lien est vibrant et celui de déposer un morceau de son vécu,
pour elle, nécessaire.
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"Le principe de la parole, qui libère confidences et vérité, c'est bien la joie partagée, le moment de répit qui redonne le goût de dialoguer, le désir de dire certaines choses à l'autre, de se faire comprendre."
Sophie Djigo. Aux frontières de la démocratie
Rédigé à 09h05 | Lien permanent
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Sa terre à lui est un pays de sable.
Il a marché beaucoup, traversé l'Italie.
Maintenant, la suite de la route crée une ombre sur son visage.
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"Regardez-les, ces hommes et ces femmes qui marchent dans la nuit.
Ils avancent en colonne, sur une route qui leur esquinte la vie.
Ils ont le dos voûté par la peur d'être pris.
Et dans leur tête,
Toujours,
Le brouhaha des pays incendiés.
Ils n'ont pas mis encore assez de distance entre eux et la terreur.
Ils entendent encore les coups frappés à leur porte Se souviennent des sursauts dans la nuit. Regardez-les.
Colonne fragile d'hommes et de femmes.
Qui avancent aux aguets,
Ils savent que tout est danger.
Les minutes passent, mais les routes sont longues. Les heures sont des jours et les jours des semaines. Les rapaces les épient, nombreux.
Et leurs tombent dessus,
Aux carrefours.
Ils les dépouillent de leurs nippes,
Leur soutirent leurs derniers billets.
Ils leurs disent "Encore",
Et ils donnent encore.
Ils leurs disent "Plus !"
Et ils lèvent les yeux ne sachant plus que donner. Misère et guenilles,
Enfants accrochés au bras qui refusent de parler, Vieux parents ralentissant l'allure,
Qui laissent traîner derrière eux les mots d'une langue qu'ils seront contraints d'oublier. Ils avancent, Malgré tout,
Persévèrent
Parce qu'ils sont têtus.
Et un jour enfin,
Dans une gare,
Sur une grève,
Au bord d'une de nos routes, Ils apparaissent.
Honte à ceux qui ne voient que guenilles. Regardez bien.
Ils portent la lumière
De ceux qui luttent pour leur vie.
Et les dieux (s'il en existe encore), Les habitent.
Alors dans la nuit,
D'un coup, il apparaît que nous avons de la chance si c'est vers nous qu'ils avancent. La colonne s'approche,
Et ce qu'elle désigne en silence,
C'est l'endroit où la vie vaut la peine d'être vécue.
Il y a des mots que nous apprendrons de leur bouche,
Des joies que nous trouverons dans leurs yeux.
Regardez-les,
Ils ne nous prennent rien. Lorsqu'ils ouvrent les mains, Ce n'est pas pour supplier, C'est pour nous offrir
Le rêve d'Europe
Que nous avons oublié."
Laurent Gaudé.
Rédigé à 18h51 | Lien permanent
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C'est un lieu refuge.
Dans la zone frontière, France-Italie.
Un endroit où après une traversée souvent longue, des femmes, des hommes peuvent ressentir en sécurité.
Le coeur peut cesser la chamade. Le tremblement, la peur...
Un endroit où tu sens que va bientôt cesser la "chasse à l'Homme" ressentie dans chacun de tes nerfs.
Un endroit où tu sens que le sourire reprend place.
C'est ici que je rencontre S. et H. et leur petite fille Avina.
Menacés en Iran, et après un pays à l'autre bout du monde, ils viennent de quitter forcer contraint la Turquie.
Le bateau 5 jours, dans les cales.
S me raconte. Et ça tremble de partout.
Puis la traversée de l'Italie, la marche dans les montagnes, la nuit.
Et tout ce qui ne se dit pas, pas frontalement.
Tout ce qu'on entend, entre les silences, entre les rires (politesse du désespoir)
Demain pourtant déjà ils reprennent la route...
Après cette courte halte en refuge.
Le temps de reprendre leur souffle.
L'intime nanoseconde.
Rédigé à 17h02 | Lien permanent
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Rédigé à 19h36 | Lien permanent