...
Ce qu'offre le refuge à Briançon, c'est ça déjà,
une hospitalité.
La nuit souvent, à leur arrivée,
leur est offert, logis, couvert.
Ils arrivent seul parfois, en groupe souvent,
et certaines nuits, arrivent quelques exilés, ou plus nombreux.
Hommes, femmes, enfants, famille.
Et ce lieu dans la frontière cesse d'être un rempart de protection contre l'étranger
pour devenir un espace de protection pour l'étranger.
Au petit matin, les yeux sont un peu défaits, sous un épais feuillage de couverture
Pliure et pli, la lumière est calme dans le réfectoire
Désordre des premiers gestes
Se déplier, petit déjeuner, s'installer dans une chambre
Découvrir un espace inconnu
C'est une chose simple à dire :
Etre à l'abri.
...
Question à Michel Agier.
Juliette Bénabent
Publié le 08/10/18
Quelle définition proposez-vous de l’hospitalité ?
Le penseur Tzvetan Todorov disait qu’à la différence des arbres les hommes n’ont pas de racines mais des jambes.
Notre mobilité est notre nature, et puisque les hommes circulent, une fluidité organisée est nécessaire pour éviter les conflits.
L’hospitalité est une forme sociale qui a pour fonction la médiation entre moi et l’autre, et, plus largement, entre la structure en place et les gens qui arrivent.
Elle est ce geste qui dit à l’autre : tu n’es pas mon ennemi, qui fait de l’étranger un hôte dans une relation d’accueil et non un ennemi dans une relation guerrière.
Chaque société établit des codes pour dire ses conditions : là il y a une chambre pour celui qui passe, ici l’étranger peut rester trois jours, ici dix ou douze, parfois on attend de lui un travail ou une participation à la vie collective…
Ces règles ont pour fonction d’éviter le chaos qui advient si chacun regarde l’autre comme un ennemi. C’est le sens du Projet de paix perpétuelle d’Emmanuel Kant (1795), qui n’est pas du tout un texte utopique mais au contraire un essai de diplomatie très pragmatique : si on veut la paix, l’hospitalité est indispensable. Kant n’était pas un moraliste, mais plutôt une sorte de géopoliticien du XVIIIe siècle.
Vous admettez que ce geste d’hospitalité est toujours une épreuve et l’hospitalité, une relation asymétrique et provisoire…
Bien sûr, c’est une épreuve. Oui, l’étranger qui arrive est un intrus, puisqu’il n’était pas là auparavant. Ce n’est pas un jugement de valeur, c’est un fait ! Et, oui, c’est difficile d’accueillir chez soi une personne différente, dans son apparence parfois, dans son langage, sa culture, ses habitudes.
La relation est forcément asymétrique : l’accueillant et l’accueilli ne peuvent pas être égaux au même moment puisque l’un donne une faveur que l’autre reçoit.
Chez les migrants et commerçants haoussas d’Afrique de l’Ouest, installés notamment à Lomé, au Togo, les mots expriment cette asymétrie : le yaro (qui signifie aussi enfant) désigne celui que l’on accueille et protège ; le maigida est le chef de maison qui le prend en charge. Entre eux se noue une relation appelée zumunci, que l’on traduirait par « quasi-parenté ».
Elle est provisoire, comme toute relation d’hospitalité : elle prend fin soit au départ de l’étranger, soit parce qu’il est inclus, sous une forme ou une autre, dans le groupe qui l’a accueilli (souvent par un mariage organisé par le maigida).
(...)
Que serait un monde sans hospitalité ?
Si on considère, comme je le défends, qu’elle est une forme sociale indispensable pour mettre du lien, du mouvement et de la flexibilité dans des structures sociales stables et établies, alors on ne peut pas vivre sans hospitalité. C’est elle qui permet d’établir la relation à l’autre, or cette relation est vitale. L’hospitalité change de forme, elle prend le visage de tous ceux, partout, qui réorganisent leur vie, leur temps, leur espace domestique pour faire place à l’étranger. Elle se transforme, elle traverse une mutation sévère, mais je crois, je suis certain qu’elle survivra.