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"J'ai toujours rêvé la France. De ma Guinée, je l'ai rêvé.
Mon père cambiste, ma mère elle, faisait les ménages.
Un jour, on a quitté une région de brousse et de forêt pour rejoindre Conakry.
Là, mon père a vraiment voulu qu'on aille vers des études. Il s'est battu pour ça.
Et moi, je suis tombé en amour pour la langue française. J'étais prématuré dans mes lectures.
J'avais envie de tout découvrir, je lisais beaucoup, je discutais avec les enseignants, je restais à leur côté.
Je tentais de discuter partout.
J'ai découvert la Négritude, la langue française en Afrique et puis les débats politiques.
Au début je comprenais presque rien de ce que j'entendais. J'étais là.
Je faisais comme si je comprenais et puis un petit peu les choses se sont éclaicies.
J'ai commencé à parler de la France à mon père très tôt.
Mille fois, j'ai demandé à mon père pour venir en France. Mille fois, je vous jure.
Je voyais la France très haute.
La France pour moi, c'était le centre géométrique de la littérature et de la culture.
Et Paris était le centre de ce centre. Paris avec sa Sorbonne, l'école Normale supérieure...
Et puis la langue française, que j'aime beaucoup beaucoup beaucoup...
J'aime le fait qu'elle soit difficile, j'aime ses exigences et ses règles.
J'ai appris à parler seul. Je n'ai pas étudié dans les grandes écoles, alors pour la langue, je devais me forcer.
Parfois c'est avec le miroir que je parlais, je vous jure.
Je parlais avec moi même, je faisais des monologues.
En septembre dernier, j'ai compris qu'il fallait que je parte.
Pour cette France tant rêvé.
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Tu me racontes ton histoire, tu passes d'un moment l'autre, sans t'attarder.
Des choses peuvent se dire, d'autres restent suspendues.
Il y a de la pudeur avec la douleur.
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Le réel c'est sûr, ne se donne pas d'un seul coup.
Il ne cesse de s'interroger.
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La Guinée, le Mali, l'Algérie.
J'ai eu de la chance dans mon exil.
Parce qu'il y a des bandes armées, du traffic d'être humain, des demandes de rançon.
De l'Algérie pour le Maroc, là aussi c'est compliqué.
On est des clandestins. On se cache.
Certains sont pas habitués aux étrangers.
Et on nous traque. La police traque les étrangers
Alors faut esquiver, aller d'un lieu à l'autre.
Et rejoindre Melilla
Ensuite c'est la traversée
puis l'arrivée en France.
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Avec la photographie, que quelque chose du réel se montre enfin.
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nous allons dans un café,
il m'emmène à la Grande Mosquée.
Il s'appelle Djibril
Il a demandé l'asile.
Il est un demandeur d'asile.
Je l'espère, bientôt, réfugié.
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