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Le 15 mars dernier, le temps d'une rencontre autour de la Fraternité au Centre Jacques Brel, j'ai été amené à dire.
Voici la retranscription de ma causerie :
""Alors oui je me présente : je m’appelle Laurent Prum, j’ai quitté ch’Nord il y vingt ans pour aller habiter sur les bords de Loire, tout prés de Saumur. Et depuis quelques temps maintenant, parmi mes activités un peu nombreuses, je fais de la photographie documentaire militante.
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Bon, c’est clair, faut que je vous dises, que je voyais pas mon temps de parole comme ça.
Je me disais que j’allais vous raconter à la volée et sans papier évidemment cette expérience de photographe : comment j’avais entendu en novembre 2021, l’appel de Ludovic Père Philippe et Anaïs en gréve de la faim à Calais et comment j’avais débarqué de nulle part un jour d’hiver, dans les campements.
Et comment ensuite, j’étais revenu régulièrement.
Je voulais vous dire comment prendre des photographies, plus que prendre c’est restituer une forme de lumière et de bonté, et blablabla et blablabla.�
Et puis ce qui s’est passé. C’est qu’hier j’ai présenté POUR LA PREMIERE FOIS toute la journée cette exposition au collège Angellier Et qu’avec Dany (encore un grand merci pour m’avoir accompagné pendant toute cette journée), j’ai rencontré un peu plus d’une centaine de jeunes de sixième.
Classe après classe, une heure pour chaque classe, et puis des ateliers d’écriture, vous choisissez une photo et vous imaginez ce que pourrez dire, penser, partager cette personne exilées.
Et en vrai, au petit matin là, j’ai réalisé que ce partage avec les jeunes, ça m’a mis une bonne petite claques là, celle qui dit « eh réveille toi »
Alors la première chose que je découvre c’est que semblant de rien avec les jeunes : ça fuse.�Les commentaires, les questions, les remarques. Et parfois aussi faut le dire de sacrées méconnaissances. Alors ça fait du bien de remettre tout ça un peu d’équerre, de remettre les choses un peu droite. Qui sont les exilés, que font ils dans le Nord, , que fait la police…etc…etc
�Mais ce que je découvre aussi, c’est leur capacité de ces jeunes, à saisir dans les photographies, le tout petit détail et leur manière de s’agiter là dessus, d’être dérangé : le portable clapet dernier cri (bah quand même s’ils sont pauvres, c’est pas normal), le gars qui me fait un doigt d’honneur sous le pont Nelson Mandela (pourquoi il fait ça monsieur), et Zemmour écrit en grand sur une affiche, et puis aussi le témoignage écrit du jeune qui dit ne pas s’être lavé depuis trois mois, et puis les twitt d’insultes racistes;
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Oui, tout ça les fait réagir. Et c’est vif. Les idées reçues, héritées et elles sont parfois raides : « si t’as faim, t’a qu’à te manger les ongles »
Mais leur indignation et leur manière de se laisser toucher, c’est beau, aussi inversement.
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Oui, les enfants ont des choses à nous dire. Et il faut les écouter.�Et avec eux, plus que jamais : ça a du sens d’échanger.
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Et puis… �faut que je vous parle d’une phrase �une phrase que j’ai entendue, une phrase chuchotée, une phrase qu’on a même pas relevé. Et pourtant c’est sur elle que j’ai envie, ce soir de m’arrêter un peu :
« Ça le fait trop pas, monsieur ! » �
Cette phrase pour moi, elle porte, malgré son apparente banalité, une sacrée puissance. �Parce que cette phrase, elle dit vraiment beaucoup.�
Ouais jeune fille de Boulogne, t'as raison : TOUT ça, ça le fait TROP pas.�
« Cà le fait trop pas, de laisser des gens dans le froid, dans la faim, dans la boue, tout mouillé tombé d’un bateau »�
« Ca le fait trop pas, les démantèlements, les pierres, les intimidations des bénévoles »�
« ça le fait trop pas, de passer du temps avec des gens, de découvrir leur histoire, d’être ému aux larmes par leur présence ardente, vivante et pas pouvoir en faire beaucoup plus »
« Ça le fait trop pas, de prendre un enfant dans ses bras, de le prendre en photo, de rire avec lui, de partager et puis de le laisser partir, sachant que pendant la nuit, il va faire une traversée dans un bateau de misère et que peut-être il peut mourrir »
�« ça le fait trop pas, que cette question des migrants, elle soit devenue un enjeu politique, ça le fait trop pas ces mensonges sur nos capacités d’accueil, ces mensonges sur le flux, la vague migratoire, cette instrumentalisation politique permanente. »
Voilà.
Alors si un jour, je dois créer un collectif de soutien aux exilés, je sais comment je l’appellerai : « Ça le fait trop pas »
En attendant…
je vais continuer à faire des photos, je vais continuer à faire découvrir cette expo ici et là en France. Bientôt en Normandie, à Argentan, où Bénédicte avec l’association qu’elle a crée - Les mots du monde, propose des cours de français à des exilés essentiellement afghans, Et Madame Sow Fatoumata élue et qui semble pas mal se battre pour installer l’expo dans la mairie et la médiathéque d’atthis Mons
Alors oui :
Je partage avec Sophie Djigo, philosophe militante l’idée que
« nos points de résistance sont des manières d’essaimer, des manières de tisser tout un réseau car oui plus que jamais la pratique des autres donne l’envie d’agir. Oui l’action est à la portée de chacun et témoigne de l’aspects joyeux de l’accueil. Elle est aussi créatrice d’UN LIEN CRUCIAL au sein de toute action politique. Nous sommes chacun les maillons d’une chaîne "
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Et voir la mobilisation d'une équipe d'enseignant pour sensibiliser à cet enjeu des migrations, des exilés...
Et voir comment mon travail photographique trouve d'autres espaces pour exister.
Précieux.
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