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Voilà à présent deux ans que je passe régulièrement du temps à Calais, Grand Synthe, dans cette zone frontière entre la France et l'Angleterre.
J'ai collecté sur ces périodes bien des images, bien des moments. Ensuite j'ai monté un travail de sensibilisation autour de cet enjeu là.
RESISTER. Exilés et militants, de Briançon à Calais.
Depuis deux ans, je rencontre des personnes extraordinaires qui oeuvrent avec foi, énergie, nécessité pour tendre la main, aider, réconforter, être là pour les personnes coincés dans cette impasse de Calais. L'association Salam notamment avec Ferri, avec Yolaine et toute l'équipe.
Depuis deux ans aussi, je suis témoin de la violence de l'Etat : violences verbales et physiques, évacuations de camps déshumanisantes, destruction des camps, mise à l'abri forcé...et accidents mortels : oui à Calais, les exilés sont victimes des forces de l’ordre.
Et la semaine dernière, c'est tout ça dont j'ai été témoin à plusieurs reprises : la violence des policiers, la détresse des réfugiés, l'engagement hors norme des bénévoles...
Mais je sens la fatigue aussi, le découragement parfois, l'ampleur de la tâche...
Alors c'est vrai que je pensais ne plus devoir témoigner de cela et pourtant bouleversé, me voilà à photographier encore et à publier ici encore.
(même si mon appareil photo a décidé du contraire et m'efface les trois quarts de mes tirages ?!)
Parce que oui il faut dire encore, il faut montrer encore.
Et de reprendre les mots, une fois de plus, de Laurent Gaudé
« Il y a chez ces hommes et ces femmes une énergie combative, un désir de ne pas laisser mourir la notion de fraternité qui nous réchauffe »
Des citoyens qui agissent, opèrent, se dépensent sans cesse.
Il faut voir le formidable ballet d’associations qui entrent et sortent en permanence dans le camp de Grande-Synthe.
Ces hommes et ces femmes viennent de Belgique, des Pays-Bas, d’Angleterre. Ils distribuent du bois, des vêtements, de la nourriture. Les associations calaisiennes sauvent l’honneur.
Tous se battent au quotidien sur le terrain et ils le font avec passion. Sans eux, la situation aurait déjà explosé depuis longtemps. Que Calais ne soit pas qu’un tombeau.
Il y a chez ces hommes et ces femmes une énergie combative, un désir de ne pas laisser mourir la notion de fraternité qui nous réchauffe. Il y a chez eux une énergie de la révolte.
Calais n’a pas qu’un visage de peur et de repli. (...)
Les Calaisiens se sentent seuls, abandonnés de tous, et ils ont raison, mais ils sentent aussi que la façon dont ils agissent face à cet enjeu fondamental fera date. Ils savent mieux que nous que le scandale n’est pas dans telle ou telle manifestation.
Ils savent mieux que nous que parler de « chienlit » est une pirouette nauséeuse.
Le seul véritable scandale, c’est celui de Grande-Synthe et des jungles. Le seul véritable scandale, c’est celui de la désunion européenne et de l’absence de solidarité entre les pays membres.
Quelque chose commence ici, oui, et honte à nous si nous laissons Calais au populisme, au désir de forteresse et à la ratonnade.
Honte à nous si nous abandonnons Calais à la peur et au repli. Les Calaisiens méritent mieux.
Nous méritons mieux. Il y a un rêve ici qui nous appelle avec urgence.
Si nous abandonnons Calais, c’est dans la boue froide de Grande-Synthe que nous enterrerons l’Europe.
Nous avons longtemps été humanistes, sans même y penser.
Nous avons longtemps été les fils et les petits-fils des bâtisseurs européens sans nous douter une seule seconde que ce rêve pourrait s’évaporer.
Il est temps de dire que l’Europe ne vaudra que si elle a visage humain, que l’humanisme n’est pas une mollesse de l’esprit mais un combat déterminé.
Et alors peut-être Calais ne sera plus le nom d’une défaite mais celui de notre réveil. 3 février 2016"
Texte complet : https://le1hebdo.fr/journal/calais-une-honte-francaise/93/article/ci-gt-la-france-1453.html