...
Tu t'appelles Saïd.
Je te rencontre ce matin, après le naufrage : "Le bateau prenait l'eau, alors on s'est jeté et on s'est accroché"
Dans la salle de "mise à l'abri", tu te tiens un peu à l'écart. Puis, tu viens vers nous, chercher des vêtements secs,.
Tu te sens gêné parce que tes chaussures trempées salissent le sol.
Je te vois aider celui qui a fait voyage à tes côtés. Plus tard j'apprend que tu es son neveu (ou l'inverse)
On échange de manière tranquille, intermittente. J'avance pas à pas.
Dix ans que tu as quitté la Syrie ton cher pays car là bas, "jamais on se sentait en sécurité, tout est peur, tout est danger, la guerre est effrayante"
"Moi je suis dans le bâtiment, les cloisons, l'électricité aussi"
Quand on a peu de mots, on est précis, on s'accroche aux détails.
Tu es inquiet de la suite. Tu dis que tu dois renoncer. Abandonner. Et repartir.
Mais la police va t'elle nous arrêter ? Comment on doit faire ?
On évoque l'avarie du bateau, le départ de ton pays. Le temps passé au Liban puis en Algérie.
A présent, "pas d'autres choix" dis tu, il nous faut partir vers Allemagne.
Maintenant.
On t'emmène à la gare, direction : Strasbourg. Mais Paris d'abord. Et les billets de train.
Tu me tends la maigre liasse de billets. Ils ont été mis à l'abri dans le portefeuille. Tu peines à défaire les scotches. Ensuite je procède pour vous, à cet achat. Sur le quai, on s'échange maladroitement nos coordonnées.
J'avoue, je ne sais pas si nous allons avoir de tes nouvelles.
...
Au soir, je parcours les mots de Patrick Chamoiseau.
Plus que jamais caisse de résonance.
"dés lors tous les combats sont liés.
Chacun se retrouve pour ainsi dire "réfugié" dans chacun.
Une même dépendance relie et les uns et les autres.
Notre plénitude est faite de la plénitude des personnes inconnues qui pourtant sont en nous.
Tout l'inconnu du monde soutient notre connu, l'anime, le détermine aussi.
Le solidaire s'impose comme principe.
Pour chaque souveraineté nationale.
Pour chaque individu.
Une solidarité ardente et multiforme.
(...)
Considérer que chaque vie est élan vers chaque vie. Que chaque vie ne peut que prendre soin de la vie.
Rester sensible à ce que l'idée de l'humain, le nom d'humanité, a de plus humble et de plus lumineux.
(...)
Chacun propage à l'autre une intensité la même considérable.
Si une lueur ne touche qu'une personne, ne stimule qu'un enfant, ne perce qu'un coin de l'horizon, c'est malgré tout la victoire d'une résonance dont l'onde ne saurait s'épuiser.
(...)
Frères migrants. Patrick Chamoiseau. Seuil 2017.
...