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Taxi Boat, c’est comme ça qu’on appelle ces embarcations venues de la mer. Celui ci, on l’avait vu partir au loin, mais voilà : il revient.
Lentement, se met de travers, les vagues font remonter l’embarcation, houle académique.
Le bord est proche, on s’avance un peu dans l’eau, on rentre dans la mer, lui se rapproche encore, chargé déjà.
Il faut faire vite, l’hélice du moteur mord le sable et crache de la fumée.
Nos corps ensemble et séparés, chacun, il faut les porter loin devant, rentrer dans l’eau, plus le choix à présent.
Et la mer gelée qui recouvre la poitrine et ce froid, ça coupe le souffle.
Les habits engluent. Le sac pince la peau. On s’accroche à du vide, on regarde autour comme on peut et tout est tendu vers l’embarcation qui tangue.
Déjà sur le bateau, une dizaine d’hommes assis sur les rebords, en équilibre.
Je m’avance avec eux.
Fouad est au bord, il crie à tout rompre, téléphone à la main. Sur la corniche, sa femme enceinte, et les enfants. Bloqués, empêchés d’aller plus loin, les forces de l’ordre font barrage. Lui montre du doigt les uns les autres, sa col!re, un abime.
Mouawad, eau jusqu’au cou, tente de grimper. On le repousse. Il ne comprend pas. Insiste. On le repousse encore. La tête sous l’eau, le poids de ces quarante cinq ans, pourquoi.
Des sacs d’eau, bouée dans la main, le manteau dont on se défait, le gilet absent.
Le taxi boat s’éloigne et on sent bien que cette fois, c’est définitif.
Des tongs flottent et sont ramenés sur le bord.
Ça ne tient pas, cette panique, cette précipitation. Les forces de l’ordre cette fois n’interviennent pas, mais vigie fait peur et les exilés ne les ignorent pas, menace jamais lointaine. Car ils savent que d’autres fois, le bateau crevé, éviscéré et les coups et les cris.
Mais voilà l’échec est là pour aujourd’hui, l’impatience du passeur, la houle qui monte, les engagements qui ne tiennent pas.
Remonter vers la corniche. Et dans cette drôle de silence, entendre battre les coeurs déchirés par ce nouvel échec.
Pourtant, il faudra pourtant raviver encore, et raviver sans relâche cette volonté d’y aller et de prendre ce chemin impensable de la mer.
Je remonte avec eux, on ne parle pas.
Ce qui vient de se passer est lourd. Je comprendrais plus tard, on m’expliquera.
A présent, il s’agit de se sécher, de se changer, mais c’est comme si le corps n’existait plus.
La sidération autant que l’eau ont tout envahi.