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J'ai marché aujourd'hui pendant des heures dans le gras de la pluie de Calais,
croisant par moment des personnes sur la route de l'exil et comme coincés, hagardes, dans cet hiver du Nord.
Je suis retourné sur mes pas, j'ai frissonné avec eux le temps d'un thé, d'un feu, d'une accolade.
Mais pas envie, pas envie de saisir ces moment là, ni rien d'ailleurs, leurs visages fatiguées, éreintées m'assiègent.
Etre juste là
sans gêner ni aider.
Faisant l'état des lieux, ce sont les mots de Primo Levi qui tapent tapent tapent dans ma tête :
"Nous disons faim, nous disons fatigue, peur et douleur,
nous disons hiver, et en disant cela nous disons autre chose,
des choses que ne peuvent exprimer les mots libres,
créés par et pour des hommes libres qui vivent dans leurs maisons
et connaissent la joie et la peine.
Nos mots ne sont pas vos mots"
Rédigé à 19h43 | Lien permanent
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Je marche à présent dans la rue. Et Ali est venu. Ali est reparti. Ali, le roi sans terre. Une main sur le torse pour dire merci.
Une manière majestueuse de s’incliner et de ramasser les miettes. De fermer les portes, de faire la vaisselle. Tout azimut et à toute allure, débarrasser, passer le balai, allez-allez.
Souvent les lombaires se coincent et un cri est retenu au fond de ton palais, je l’entends.
Et le bonnet, ne pas le quitter, se découvrir mais pas trop vite. Dire mais pas trop non plus, s’allonger dés que possible.
En route pour la terre promise, il fait froid. Sans méfiance avancer, mais se protéger aussi, rester maître.
Depuis hier, dans cette forêt, en bordure de mer, et depuis quelques temps sur la route. Et pour seul refuge, cette clairière en contre bas, un lieu où se poser avec des frères d’arme, des jeunots, la mer n’est pas loin, la traversée déjà tentée, mais le bateau n’est pas venu.
Je marche à présent dans la rue et je pense à ce temps passé ensemble, à cette mise à l’abri, le temps d’une nuit.
Je me demande en vrai qui tu es, Ali.
On a regardé la carte. On a écarté avec les doigts le planisphère, distorsion des espaces, le village est trop petit, pas moyen de le retrouver. On lache vite l’affaire. Alors il reste le récit. Quelques grands gestes pour raconter : les armes et les coups, les bruits et les garde à vous. L’armée qui te harcèle. Le Koweit, c’est ton pays mais pourtant.
Car je saisis ce mot entre tes grandes gesticulation un peu vaine : bidoun. Tu es : un sans. Sans nationalité, sans patrie, sans existence. Ni irakien, ni Koweitien. Et comment on fait pour vivre quand on n’est, de nul part. Toi, tu as renoncé, tu es parti.
Plus tard, c’est plus doux et tout aussi improbable. Je fais connaissance avec ta famille, ta fille, et toute une série de petits enfants. Tu me les présentes, tour à tour. On se regarde, on rit.
Et on finit par mettre nos téléphones face à face, et nos amours se regardent.
On ne sauvera pas le monde de l’abîme, ni toi ni moi.
On aura beau être proches, attentifs, partageurs. L’incurable bassesse des puissants qui règnent ne se soucie ni de moi, ni de toi, ni de ce monde qu’ils brisent.
Et ce soir, quand je te raccompagne sur le campement dans la boue des forêts et avant que la nuit ne couvre tout, tu mets ta main de biais sur la tempe en claquant des talons : un roi qui salut droit, un roi en son royaume.
Demain, tu tentes à nouveau la traversée.
Tu auras dans quelques jours, tu me l’as glissé en souriant, après avoir recompté sur tes doigts marqués par le temps, 68 années de vie.
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Rédigé à 19h40 | Lien permanent
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Donnons nous des soleils contre la peste quand elle s'étend.
Donnons nous des soleils, nous sommes 100, nous sommes 600 pour panser les plaies
Donnons nous des soleils pour étrangler la mort, vaincre la terreur, et retrouver des douceurs manquantes
A marcher dans les rues de Calais, il nous a fallu convoquer tous ces soleils, mains tendus, regards francs.
La force des liens contre l'acier trempé de l'Etat, contre ce qu'il piétine sans cesse ici à la frontière : la vie.
Alors dénoncer, dénoncer, dénoncer : les politiques qui tuent enfants, femmes et hommes sur la route de l'exil.
Donnons nous des soleils et des mains de feu
Car nous le savons au combien
les yeux des morts ne s'éteignent jamais.
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Rédigé à 22h36 | Lien permanent
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C'est vrai. C'est vrai qu'il y a une vie après les embuches, après les nuits passées dans la forêt et le froid.
C'est vrai que sur la route de l'exil, il y a un moment où l'on baisse la tête et un jour : on la relève.
C'est pas moi qui dis ça, c'est eux.
Eux.
Eux, avec qui en octobre, on a pris du temps. Dans des campements, des abris, sur le littoral frontière, dans le vent, la pluie aussi, et la peur.
Des campements du côté de Wimereux.
Eux, lui. A qui des citoyens, ont offert ce qu'ils avaient.
Pas grand chose en vrai.
Mais déjà tant : parfois une couverture, parfois un repas chaud, parfois un couchage à l'abri.
C'est vrai que quand on les retrouve en Angleterre, il y a ce qui nous lie.
Ce qui nous lie, ce lien là, bien fort.
Ils sont à présent, après la traversée pirate,
dans un centre d'hébergement, dans le Nord de Londres.
Il fait doux et chaud, c'est le temps du réconfort.
Ils devraient avoir leur permis de séjour dans quelques semaines.
Lui, nous prépare une soupe d'avocat.
Lui, nous ramène quelques souvenirs.
Lui, nous prend dans ses bras.
On pleure en partant.
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Rédigé à 16h15 | Lien permanent